Politiques de transport


Le Royaume-Uni s'interroge sur ses transports de marchandises

Après l'Allemagne, un autre article sur les politiques de transport des pays européens, avec un très intéressant rapport parlementaire sur la politique de fret au Royaume-Uni. Là aussi, la perfide Albion a ses particularismes. Le moins étonnant n'étant pas celui d'avoir des députés qui font du bon boulot en plein été.

 

C'est un rapport du comité des transports (sans doute l'équivalent d'une commission en France, mais les commissions concernent en France  un nombre très réduit de sujet) du parlement anglais. 40 pages concises et claires, des sources abondamment citées (avec une certaine prédilection pour un certain professeur McKinnon), 220 pages d'annexes avec les entretiens, le tout disponible en format pdf. Un travail d'autant plus remarquable que c'est la 13 ème publication du comité en 2008. Au Royaume-Uni, les députés ne chôment pas (comme j'avais déjà pu le constater sur les biocarburants).

 

Ils ont beau être en majorité travailliste, les députés tiennent à préciser dès l'intervention : « There are, however, a limited number of circumstances in which the Government says it would normally consider intervening ». Non qu'en France les choses tendent à être très différentes, mais on ne le dirait pas comme ça. Ici les compétences de l'Etat sont d'entrée limitées à trois aspects :

_les cas où l'état a une responsabilité de financement des infrastructures

_les cas où il existe un besoin démontrable de planification stratégique du réseau à long terme

_enfin les cas où le marché n'arrive pas à internaliser les effets négatifs du transport.

C'est à la fois très réduit et immense ! Dans leur rapport, les députés tendent néanmoins à essayer de démontrer que le gouvernement devrait être plus actif.

 

   En matière de transport, l'évolution au Royaume-Uni a été relativement comparable aux autres pays d'Europe de l'ouest, avec une grosse augmentation du transport depuis 20 ans (+44% entre 1980 et 2006), qui a comme ailleurs surtout profité au transport routier (+79%, 66% de part  modale). Le ferroviaire, qui a beaucoup souffert dans les années 80, a connu une remonté spectaculaire depuis la libéralisation<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]--> : avec +70% de trafic depuis 1994, pour atteindre 22 milliards de tonnes kilomètre (c'est moins qu'en France mais les dimensions du pays sont nettement plus petites) et 9% de part de marché (comparable à la situation française), le ferroviaire britannique a bien remonté la pente (on pourrait objecter qu'il partait de loin). Mais la vraie originalité, c'est l'importance du cabotage maritime, qui, bien qu'en déclin, représente encore 21% des marchandises transportées. Ça c'est pour le transit « intérieur », car le gros du trafic de marchandise est effectué avec l'étranger (et là le maritime domine de façon écrasante, laissant juste 4% au tunnel sous la manche).

   Au Royaume-Uni, comme partout ailleurs, on cherche à promouvoir le report modal. Apparemment avec un certain succès, selon le comité, puisque 800 000 conteneurs ont été retirés des routes, conséquences de 33 contrats du Sustainable Distribution Fund, qui bénéficie d'environ 25 à 30 millions de £ de budget par an. Mais ici l'équation est complexifiée par l'importance du trafic maritime, qui n'a pas forcément bénéficié autant du programme. C'est d'ailleurs le grand enjeu du transport britannique : les conteneurs sont en majorité débarqués dans les grands ports du sud (qui ont les infrastructures adéquates, et qui imposent un détour minimum aux grands porte-conteneurs), qui seuls accueillent les services intercontinentaux des compagnies maritimes. Par exemple, la CMA CGM fait escale pour ses lignes Europe-Asie  à Felixtown, Southampton, Thames port et Tilbury (les deux derniers font partie du port de Londres), tous plus ou moins situé dans le sud est de l'île, pour décharger ses conteneurs. Conteneurs qu'il faut ensuite remonter en partie, notamment vers les grands centres industriels du nord, soit avec des petits portes conteneurs (les feeders), soit en train, soit en camion. Les connexions aux grands ports sont donc essentielles. Pour le vrac, c'est un peu pareil, même si Liverpool veut inverser la tendance et investir pour accueillir des navires post-panamax (de gros navires).

   L'action est portée également sur le financement des infrastructures avec le Transport Innovation Fund, axé (un peu à la manière du masterplan allemand) sur le renouvellement des réseaux ferroviaire, et sur l'implémentation de réseaux de gestion du trafic sur les autoroutes.

 

   Reste que le comité a du affronter un paradoxe. Si l'objectif affiché serait de faire payer au transport routier tous les coûts qu'il génère (l'internalisation des coûts externes), alors que ce n'est le cas aujourd'hui que dans une fourchette de 59 à 69% (d'après l'Institution of Civil Engineers), il se trouve que le routier anglais est déjà le plus taxé en Europe. En particulier sur les carburants : la Road Haulage Association estime que chaque camion paye entre 10 000 et 15 000 £ de plus par an. Celai dégrade bien évidemment la productivité des transporteurs (à ma connaissance, le Royaume-Uni est le seul pays où le pavillon français est majoritairement implanté sur les échanges bilatéraux !). D'où l'idée de taxer non plus le carburant, mais le camion (selon son type, son poids, sa classe d'émission, son kilométrage, ect…) à l'aide d'un système GPS (un peu à l'instar de ce qui se fait en Allemagne avec la lkw Maut). Mais ça n'a pas vraiment enchanté les routiers anglais, qui « devraient » en bénéficier (une nouvelle taxe, et complexe en plus…). Le projet est pour l'instant abandonné.

Autre solution reportée, l'autorisation des écocombis (voir un de mes premiers articles), pour des raisons principalement de concurrence de rail (apparemment les opérateurs ferroviaires ont été loin dans la dramatisation, prévoyant des pertes de marchés de plus de 50% sur certains trafics).

Quant à la plus grande sévérité par rapport aux infractions à la réglementation commise par les transporteurs routiers étrangers, elle semble patiner un peu. Les routiers britanniques ont été apparemment satisfaits de la peinture de la situation.

 

   Bref, si le rapport n'apporte pas de solution miracle, il fournit beaucoup d'éclairages. Et mon compte rendu, bien que trop long, est assez incomplet, il y a aussi des choses intéressantes sur les marchandises en ville notamment. Sans langue de bois, le rapport s'achève sur une volée de bois vert sur le gouvernement (pourtant de la même majorité) : « The Government's attitude to freight transport is characterised by an apparent recognition of the issues but an unwillingness or an inability to address them. » Tirez les premiers, messieurs les députés anglais…

<!--[if !supportFootnotes]-->

<!--[endif]-->

<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]--> A noter cependant que le retour de l'investissement public pour renouveler un réseau à l'abandon depuis 30 ans, et la renationalisation partielle de la gestion du réseau,  ont également beaucoup aidé


24/07/2008
0 Poster un commentaire

L'Allemagne lance son masterplan pour les transports

Les allemands veulent fixer sur le long terme leur politique de transport avec le masterplan. La conclusion d'une espèce de « Grenelle du transport » qui a rassemblé sur le long cours (2 ans !) près de 700 spécialistes, politiques, représentants des  acteurs économiques et associatifs.  L'occasion aussi de comparer quelque peu les principes constitutifs des politiques de transport en France et en Allemagne.

 

Le gouvernement de coalition grande allemand vient d'adopter le  « Freight Transport and Logistics Masterplan »  des transports. Je regrette un peu  de n'avoir pas plus travaillé la langue de Goete dans le secondaire (à mon époque, Tokio Hotel ne sévissait pas encore, et l'allemand n'était pas à la mode), le masterplan n'étant pas traduit[i] . Un résumé et un communiqué sont publiés à ce sujet en anglais par le Bundesministerium.

Mr Tiefensee, le ministre (social démocrate) allemand du transport, de la construction et des affaires urbaines s'est bien entendu félicité de l'adoption de ce plan, qui comporte  35 « mesures concrètes et calculées » pour  permettre au pays de gérer  l'évolution à la hausse  du  transport de fret comme celui de passagers. Il a également souligné la nécessité d'agir : 

 "If we don't intervene today, we will soon have total gridlock. If traffic comes to a halt, the economy will also collapse. We will secure and strengthen Germany as a centre for logistics, with its workforce of 2.6 million, by optimizing traffic and making it more efficient, by upgrading the transport arteries and hubs, and by making greater use of the environmentally friendly railways and waterways. In this way, goods will reach their destination more quickly, more reliably and more ecologically. Motorists will benefit because we will reduce congestion."

 En effet les études sur lesquelles se base le gouvernement allemand  prévoient une hausse ahurissante de 70% du trafic en tonnes kilomètre entre  2004 et 2025 (à cause de l'essor économique des pays de l'est et de la Russie ?). Qui a déjà voyagé sur les autoroutes allemandes (où il est le plus souvent illusoire d'espérer pouvoir faire un « chrono » à la Schumacher, même si c'est autorisé) voit bien à quel point les choses pourraient coincer…

 

Plus généralement, si on compare ce discours avec le discours d'un responsable français, on peut noter des différences : si on note bien ici aussi une volonté forte de prise en compte de l'environnement, celle-ci ne vient que dans un second temps.  L'essentiel étant bien de garantir l'efficacité du système de transport, gérer la hausse du trafic, vue comme inévitable, pour protéger la croissance économique, et de transporter les marchandises « plus rapidement, plus efficacement », et seulement dans un troisième temps, « plus écologiquement ». Un aspect qu'on a du mal à retrouver dans les discours de Jean Louis Borloo (mais qui est déjà plus présent dans ceux de Dominique Bussereau, le secrétaire d'état aux transports), ou sur le site du ministère de l'aménagement durable, qui, malgré un nom à rallonge, a soigneusement gommé les termes de « construction » et « d'équipement », ce qui n'est pas si anodin que ça. Selon sa sensibilité, on pourrait penser soit que les responsables allemands n'ont pas encore pris en compte l'urgence de la situation de la planète, soit que les responsables français courent après des chimères (ou sont hypocrites). J'aurai pu tourner ma phrase précédente de façon positive, mais c'est sans doute l'air du temps d'être toujours critique.

 Cela dit quand on regarde les actions prévus (pour ce que j'ai pu y comprendre) la différence est moins notable dans les principes. A noter toutefois qu'on met plus l'accent ici sur ce qui marche, ce qui doit être développé (le transport combiné), et ce qui doit être optimisé (le transport routier), que sur des solutions techniques entièrement nouvelles.

 

Les solutions envisagées peuvent être réparties en deux groupes.

D'une part le report modal. Le gouvernement prévoit (page 40 du document principal) ainsi de faire passer le financement du transport combiné en Allemagne de 65 à 115 millions d'euros[ii], pour viser un objectif de trafic de 49 milliards de tonnes-kilomètre  (25% de plus que le total des trafics de fret SNCF !). Je ne sais pas trop ce que met  le gouvernement dans ce « Kombinierte Verkehr », ni quels sont les niveaux de trafic actuel. Mais à première vue, ça parait avoir un meilleur rendement à la tonne-kilomètre rabattue sur le rail par euro d'investissement que les autoroutes ferroviaires, dans lesquelles le gouvernement français veut investir une somme comparable (voir article précédent).  

D'autre part, une meilleur gestion du trafic routier existant : péages variant selon l'heure et le lieu, gestion informatisée du trafic  (ce qui se fait en Ile de France actuellement), formation des conducteurs à l'éco-conduite, ou encore investir dans les infrastructures existantes, pour réduire les points de congestion (die Zeit annonce 1 milliard de plus pour 2009, pas assez selon un expert allemand), et amélioration des conditions sociales pour les chauffeurs routier . Selon le lloyd, « Transports Wolfgang Tiefensee a tenu compte des critiques virulentes des entreprises allemandes et du secteur du transport routier », et a « edulcoré» le projet sur  certains aspects, comme la prise en compte de la longueur du trajet dans la Maut (le péage automatique par GPS des poids lourds).

 

Mais bon, si l'approche est pragmatique, si le concept de réfléchir sur le transport (et pas seulement sur sa composante « nuisance environnementale ») est séduisant, ça manque peut-être un peu de spectaculaire, de politique. Même si là encore, la connaissance imparfaite de la langue m'a handicapé, il m'a semblé que le masterplan (lancé en plein milieu de l'été !) n'avait pas soulevé un intérêt énorme outre-rhin, mis à part les récriminations habituelles des différents groupes de pression. Tiefensee n'a pas non plus forcément le charisme apparent d'un Borloo… En définitive, le masterplan fixera t-il la politique de transport de l'Allemagne pour les 20 prochaines années ? Rien n'est moins sûr, mais la démarche ne devrait pas être stérile.




[i] enfin il faut quand même féliciter le ministère allemand du transport, qui traduit en temps réel  en anglais une bonne partie de ses communications, au contraire de son homologue français.

 

[ii] plus 32 millions par an pour favoriser le raccordement des voies ferrés (les ITE ?)


23/07/2008
0 Poster un commentaire

La commission ne freine pas sur l'eurovignette

On l'attendait, la voilà. La commission n'a pas mollie, malgré le contexte actuel de manifestation des transporteurs routiers partout en Europe (même en Allemagne). La proposition de nouvelle directive Eurovignette est parue. Sans surprise, le routier est la principale cible, mais il n'est pas tout à fait le seul.

 

 La commission a publié hier un « green package », qui comprend plusieurs éléments intéressants, outre la proposition commentée de directive, et notamment un résumé des politiques européennes en matière de prise en compte des effets externes du transport (voir article précédent).

La revue européenne Euractiv, comme à son habitude, publie un excellent compte rendu de l'action de la commission et des débats. Je vous y renvoi mais globalement le lobby routier (la SAV, l'IRU, en France, même si les organisations professionnelles ont d'autres chats à fouetter en ce moment, on peut écouter ce débat sur France Info, entre un écologiste et un transporteur) hurle au scandale, ce qui n'a rien d'étonnant. Les écologistes de T&E et le lobby ferroviaire font un peu la fine bouche (notamment car le CO2 n'est pas pris en compte par cette proposition, assez logiquement à mon avis vu les efforts de la commission pour traiter globalement les émissions du CO2), ce qui est également assez compréhensible (si on est totalement satisfait, on n'est pas en position de force pour en demander plus).

Un chiffre important à souligner : selon la commission, d'après euractiv, « le coût additionnel moyen par kilomètre pour un poids lourd relativement propre serait de 0,04-0,05 euro », soit une hausse d'environ 5% pour un transporteur routier français (peut-être un peu moins avec les hausses récentes du carburants), ce qui est plutôt sensible (mais il ne faut pas en attendre une action sur le report modal).

Reste quelques questions. En premier lieu, « où va l'argent ? », comme se demande Euractiv. Comme je le supposais (voir article précédent), les diminutions des rabais accordés aux grands utilisateurs des péages (qui ont été ramenées de 25 à 13% maximum par la précédente version d'eurovignette) ont profité aux sociétés autoroutières, ce qui a peu d'intérêt du point de vue de l'intérêt général. D'après Euractiv « La Commission veut que les recettes générées par les taxes sur les coûts externes soient utilisées pour réduire les émissions de CO2 et améliorer la performance énergétique des véhicules, ainsi que pour développer une infrastructure alternative pour les usagers des transports. » Oui, mais vouloir n'est pas imposer. De toute façon en France, les recettes fiscales ne sont pas affectées.

   De même, pour la compatibilité des systèmes de péage, dont je parlais également. La commission affirme sans rire « Full technical and contractual interoperability for users is already provided by Directive 2004/52/EC », alors que la France et l'Allemagne par exemple, ont des systèmes de péages totalement différents. D'ailleurs, le texte semble se contredire (il doit y avoir une astuce que je n'ai pas saisi) quelques pages plus loin : « In order to promote interoperability of tolling arrangements, two or more Member States should be allowed to cooperate on introducing a common system of tolls, subject to compliance with certain conditions." Là encore, pas le moindre début de commencement de contrainte.

 

   Sinon, la commission s'attaque aussi au ferroviaire, peut-être pour faire mentir les accusations de persécution sélective des routiers. Selon une étude de 2001, près de 10% de la population (contre 30% pour le routier) est sévèrement gêné par le bruit ferroviaire, ce qui génère parfois de fortes oppositions locales, notamment pour les trains de fret (j'ai parlé de ce problème il y a juste quelques semaines).La commission parle exclusivement des vieux freins en fonte, mais ce doit être plus compliqué, notamment avec les vieux wagons sans bogie dans les courbes,) La commission privilégie une action sur le matériel, dont le renouvellement naturel est très lent vu la grande durée de vie d'un wagon (30 ans). Pour ce faire, la commission veut se concentrer sur les wagons qui parcourent plus de 10000 km par an (ils savent vraiment combien parcourt chaque wagon, dans une entreprise ferroviaire ?), et parle d'un coût de 200 millions à 1.8 milliards d'euros pour passer aux freins en composite. C'est « rentable » selon la commission (sachant qu'on compare ici des nuisances sonores comptés en euros, mais que personne ne paye, et de l'argent réel).

Pour y arriver, sans trop dépenser, la commission aimerait que les gestionnaires d'infrastructures (RFF en France) tarifient les sillons selon le type de wagon utilisé : « Infrastructure managers will adapt the charging schemes in accordance with Community legislation. In addition, they are in charge of the installation of identification systems and necessary IT tools. The completion of the retrofitting programmes is expected by the end of 2015 considering a timeframe of three years for the replacement of brake blocks." Identifier les wagons d'un train, ça n'est surement pas si facile qu'on veuille le croire à Bruxelles. En général, le système d'information d'une entreprise de transport n'est pas si high tech qu'on pourrait l'imaginer, loin de là (et je parle d'expérience).

 

Bon, pas de panique quand même, même si je n'ai pas tout compris, le terme « voluntary » revient souvent dans cette partie du texte. Parce que sinon, c'est potentiellement une vraie bombe (surtout qu'il n'y a surement pas que les freins qui posent problème en matière de bruit), qui pourrait gêner notamment l'ouverture à la concurrence (les nouveaux entrants commencent le plus souvent avec du matériel d'occasion plus vieux).

 


09/07/2008
0 Poster un commentaire

Tout le monde soutient les modes alternatifs à la route, mais chez le voisin.

Les écologistes, les politiques, les simples citoyens, tout le monde est pour le développement des modes alternatifs. N'importe quel sondage ou interview (même d'un lobbyiste du routier !) donnera le même résultat : il faut développer le rail, le fluvial et les autoroutes de la mer. Mais quand il s'agit de mettre ces belles paroles en pratique, les choses se compliquent…

Sur le terrain, construire des voies ferroviaires ou un nouveau canal générera autant (voire souvent plus) d'opposition que construire une autoroute ! Comment expliquer ce paradoxe ?

      Cette situation concerne les infrastructures de transport (rails, canaux…) mais aussi les installations terminales (gares, ports, chantiers de transport combiné…). Dans le premier cas, on peut citer l'énorme opposition au canal Rhin-Rhône, dans les années 70 à 90, qui a fini par tuer (entre autres raisons) le projet, ou plus récemment, l'opposition au contournement fret de Lyon, ou encore l'opposition locale (surtout du côté italien) à la liaison ferroviaire Lyon-Turin. Dans le second cas, on peut citer les menaces des élus locaux, qui ont failli aboutir à la reconversion du port de Gennevilliers, les incertitudes qui pèsent sur le futur du chantier de transport combiné de Noisy le Sec, les obstacles aux projets d'extensions du port du Havre…

     

Pourquoi cette opposition des riverains ? Comme pour n'importe quelle autoroute, la contestation se nourrit du syndrome NIMBY, des antagonismes de la politique locale, voire parfois du désœuvrement de quelques jeunes retraités. Mais on ferait une erreur en n'y voyant que ça.

En effet, si on adopte le point de vue d'un riverain, les infrastructures de transports de fret n'ont presque que des défauts. D'une part, le citoyen lambda a du mal à percevoir l'utilité qu'il va retirer d'une liaison dédiée aux marchandises. D'autre part, contrairement aux réseaux routiers (pour une autoroute, c'est un peu moins vrai, mais les entrés sorties sont en générales assez rapprochées), le réseau ferroviaire n'a (dans la plupart des cas) pas vocation à desservir le territoire traversé, mais à relier des points éloignés. Les riverains ont donc les inconvénients de l'infrastructure (effet de coupure, bruit, éventuellement pollution) sans en avoir les avantages (une amélioration de la desserte qui pourrait favoriser l'emploi local, par exemple). Or ces effets secondaires peuvent être très important (voir à ce sujet l'article sur les externalités du transport). Ainsi le bruit des trains de fret (qui roulent souvent de nuit, vu que les trains de voyageurs accaparent les sillons de jour), est très mal ressenti : plus irrégulier que celui des camions (1 camions toutes les 30 secondes, on finit par s'y habituer, un train toutes les 10 minutes c'est plus difficile), il est souvent plus fort pour les trains de fret que les trains de voyageurs, vu que le profil des voies est « adapté » (par l'usure) au profit de chargement des trains qui voyagent le plus souvent sur la ligne (c'est pourquoi, sur une ligne mixte, un train de fret, plus lourd et qui roule moins vite, « grince » souvent dans les courbes). Aussi, d'après une étude commandée par l'Union Européenne (voir article cité plus haut), en interurbain, un train génère (un peu) plus d'externalités (par tonne.km transportée) dues au bruit qu'un camion

 Dans le cas des installations terminales (qui doivent, pour être efficaces, être implantées près des bassins de consommation, soit près des villes), c'est encore pire : alors qu'elles sont censées « enlever des camions des routes », pour le riverain, cela signifie un accroissement du trafic de camion ! En effet, dans le cas du transport combiné,  les derniers kilomètres se font en camions, et il faut au moins 50 camions pour alimenter chaque train de transport combiné. C'est tout le paradoxe, on enlève les camions sur le trajet en rase campagne, mais pas en zone urbaine, où leur présence est la plus mal  ressentie par la population. On peut dire la même chose d'un port fluvial ou maritime, ce sont des aimants à poids lourds, au point de susciter des réactions de rejet, qui obligent les autorités portuaires à réagir (voir l'article précédent sur le port de Los Angeles).

Plus généralement, promouvoir une infrastructure dédiée au fret nécessite d'adopter le point de vue de l'intérêt général. Or, tous les territoires  concernés n'ont pas un intérêt dans la réalisation de l'infrastructure. Dans un contexte de décentralisation, c'est un handicap sérieux, et on peut comprendre l'opposition des riverains. Mais les écologistes ?

Faire des choix du style « favoriser le train, même si cela se peut se faire localement au dépend d'une zone humide » n'est pas vraiment dans le mode de pensée des associations de protection de l'environnement, le plus souvent construites sur une base locale. Ces projets manquent donc du soutien des défenseurs de l'environnement. En général, les acteurs associatifs soutiendront le concept, avant tout de suite de préciser que le projet n'a pas été bien étudié, qu'il faudrait le construire ailleurs, que de toute façon, « ça ne sera pas rentable » (les écologistes n'ont à ce sujet aucun scrupule à reprendre des arguments qu'un lobbyiste routier n'oserait utiliser aussi franchement), que la population n'a pas été assez consultée…

C'est pourquoi notamment la décision européenne de favoriser 30 projets structurants de transport (les projets TEN-T, le plus souvent des projets de modes alternatifs à la route) se heurte à de nombreuses objections des associations environnementales. Selon l'association Birdlife, qui a analysé les projets, plus d'un milliers de site d'intérêt environnemental (dont près de 400 déjà protégés) seraient affectés par ces projets (voir l'avis de T&E). La méthode utilisée me semble toutefois contestable : à l'aide d'un logiciel de SIG (Système d'Information Géographique), l'association a simplement (enfin, ça reste un boulot énorme) recensé toutes les zones naturelles distantes de moins de 5 km d'un projet, puis a demandé à diverses associations locales de confirmer ou non, s'il il y avait un risque d'impact. Au final, l'impact éventuel ne me semble pas bien démontré (voir l'étude ici ).


17/06/2008
0 Poster un commentaire

Le projet de loi du Grenelle de l'environnement et le fret

C'était un de mes premiers articles, au début de l'année : le Grenelle de l'environnement. L'initiative, globalement saluée comme une réussite politique, mais dont la mise en pratique s'est révélée plus difficile que prévu,  trouve maintenant son (premier) aboutissement technique. Que dit donc ce projet de loi sur le transport de fret?

L'article 10 "le transport durable des marchandises" commence par poser un objectif ambitieux et rapproché, plus 25% de part de marché des modes non routiers en 2012 (faire passer le fer et le fluvial de grosso modo 14% de part de marché pour les trafics intérieurs, à 18%). On comprend bien sûr la logique politique de la date butoir de 2012. L'objectif n'est peut-être d'ailleurs pas complètement inatteignable, même si je ne parierai pas dessus. Mais sa réussite dépend en fait surtout du dynamisme des nouveaux entrants ferroviaires et de la réaction de fret SNCF, ainsi que bien sûr du prix du pétrole. Car la plupart des actions publiques envisagées (canal Seine-Nord prévu pour 2014, dossiers des autoroutes de la mer encore à l'étude, éco-taxe poids lourds prévue pour 2011, avec forte possibilité de retard, vu l'année préélectorale...) risquent de ne pas rentrer en action assez tôt pour avoir une influence à cette date.

Les principales actions publiques annoncées sont plus précisément les suivantes :

      - Plus d'argent pour l'entretien des voies, avec 400 millions d'euros supplémentaires (150% d'augmentation). C'est nécessaire, vu l'état du réseau, encore stigmatisé récemment dans un rapport de la Cour des Comptes, et cela permettra de faire passer des trains de 1000 m sur les deux axes principaux Nord-Sud (la Deutsche Bahn est dépassée!).

      - Financement de l'autoroute ferroviaire Atlantique et prolongement de l'autoroute ferroviaire des Alpes, avec 100 millions d'euros à la clé, moitié pour l'investissement sur les lignes (mais avec 15 ouvrages à traiter rien que pour mettre au bon gabarit la ligne atlantique, 50 millions d'euros c'est peut-être un peu court), moitié pour l'investissement des quais. Je n'en remettrai pas une couche par rapport à mes articles précédents, mais force est de constater que l'entreprise Modalhor est très forte pour trouver des financements.

      -Financement à hauteur de 80 millions d'euros  « au maximum »  des autoroutes de la mer.

      -Encouragement (sans budget pour l'instant) des OFP et des projets de TGV fret.

      -Annonce d'une dotation budgétaire en faveur de l'utilisation du transport combiné (avec, ce qui était déjà prévu il me semble, la possibilité pour les opérateurs de transport combiné de réserver eux-mêmes leurs sillons).

      -Objectif non daté et non encore financé de "doublement de la part de marché du fret non-routier pour les acheminements à destination et en provenance des ports".

 

      -Instauration de péages sans arrêt pour les camions (faire arrêter et repartir le véhicule brûle plusieurs litres de gasoil à chaque fois).

 

      -Taxe kilométrique pour les camions dès 2011, sur le réseau secondaire.

 

Bref, on ne peut pas prétendre que le gouvernement manque de volontarisme. Si certaines politiques d'encouragement restent vagues, le financement de plusieurs actions est déjà très précis, et important. Mais ce financement va t'il toujours sur les bons projets ? Pas sûr, mais en tout cas l'esprit du Grenelle semble respecté, et c'est sans doute ça le plus important d'un point de vue politique.

Par contre, en tant que citoyen, il me semble qu'il faudrait demander une certaine garantie de résultat (raisonnable) aux entreprises de transport qui bénéficient directement ou indirectement (cas de mise au gabarit des voies de chemin de fer pour l'autoroute ferroviaire) de financements publics, à l'instar de ce qui peut se faire lors des appels d'offre pour certaines concessions. C'est difficile pour les entreprises en questions, qui lancent des services innovants sans avoir donc déjà un retour d'expérience, mais c'est sans doute nécessaire pour éviter de gaspiller trop d'argent.

 

 


06/05/2008
0 Poster un commentaire

Eurovignette 3 : le retour de la vengeance

« Le transport routier ne paie pas tous ses coûts ». C'est une formule qu'on entend souvent, dans la bouche des écologistes, ou dans celles des économistes, qui parlent eux « d'externalités ». Les externalités, ce sont des effets collatéraux négatifs (dans le cas qui nous occupe) occasionnés par une activité, qui ne sont pas compensés financièrement. J'ai déjà parlé à quelques reprises de taxation des externalités du transport sur ce blog (ici,,encore là...). Et bien, on s'en rapproche. Ce n'est encore qu'un projet de la commission, mais on commence à y voir plus clair.


        La nouvelle directive eurovignette sur la tarification des poids lourds (voir article précédent concernant la précédente version) est prévue pour juin prochain, mais déjà, des éléments ressortent dans la presse. Selon le site Euractiv, il s'agirait de permettre aux états de facturer au transport de fret les externalités qu'il induit :« les pays de l'UE seraient autorisés à appliquer des taxes [..] en raison des coûts supportés par la société, y compris ceux dus aux encombrements routiers, à la pollution atmosphérique et aux nuisances sonores – ce que le droit communautaire interdit jusqu'à présent ». Or seul le transport routier serait concerné, dans un premier temps (alors que le ferroviaire, par exemple, occasionne lui aussi des externalités négatives, voir article précédent). A première vue, ça paraît assez injuste (même si politiquement, ça a sa logique) , la FEBETRA ou l'IRU ont d'ailleurs déjà commencé à critiquer. Sur ce dernier point mais aussi, pour l'organisation des entreprises routières belges, sur le thème de l'utilisation de l'argent récolté ou sur la nécessité d'une solution mondiale : « Toute approche géographique plus limitée risque d'hypothéquer davantage la position concurrentielle des entreprises européennes ». Cela n'est pas totalement faux, mais n'est pas vraiment pertinent : le transport routier n'est pas délocalisable, et le surcout des frais de transport ne devrait pas pénaliser beaucoup plus les entreprises européennes par rapport aux entreprises importatrices. Autant l'argument est recevable pour le transport maritime, par exemple, autant ici, il n'est qu'un prétexte pour différer aux calendes grecques l'action publique.


Qui sera concerné par cette directive ? Selon une version provisoire publiée par Euractiv, le péage supplémentaire concernera les véhicules de plus de 3,5 tonnes, et variera selon la distance , le type de route, mais aussi, selon l'heure et le type de véhicule (notamment la classe EURO), pour favoriser un meilleur usage de l'infrastructure et l'utilisation de véhicules moins polluants. Des taxes "intelligentes" donc, qui devraient donc aider à faire évoluer les comportements, pour diminuer les nuisances des camions. La taxe serait dans un premier temps optionnelle (les États seraient libres de l'instaurer ou pas), avant éventuellement de devenir obligatoire.


Mais comment la fixe t-on, cette taxe ? L'exercice n'a rien d'évident, et la quantification des externalités toujours un peu subjective. Un premier élément de réponse : « Overcharging road freight transport may have detrimental effect on competitiveness and the integrity of the internal market. The authority which sets the charge should have no interest in setting its amount at an unduly level and must therefore be independent from the ones who collect and manage the revenues from tolls ». On reconnaît la doctrine des autorités séparées et indépendantes, mais je ne vois pas pourquoi ça garantirait un niveau de taxe acceptable. Deuxième élément de réponse : « A Community coordination combining a prior approval by the Commission, common calculation methods and caps based on acknowledged scientific methods and values of external costs constitute a reasonable way of ensuring proportionality, non discrimination and efficient pricing ». Ça voudrait dire que la taxe sera calculée partout de façon identique ?

A cet effet, le document présente en annexe des calculs pour évaluer ces externalités, et les prix maximum de externalités. On obtient ainsi une taxe maximale de 12ct/veh.km pour le bruit de nuit, 30 ct/veh.km pour la congestion en milieu urbain, 10ct/g particule. Quand on sait que la transport routier longue distance, en France, coûte environ 90ct/veh.km (et encore, c'est parfois plus bas), on mesure que la hausse de prix peut devenir localement très importante.


Cependant c'est bien beau d'autoriser les états à taxer, encore faut t-il que ces taxes soient cohérentes entre elles : « Preserving the integrity of the internal market requires a Community framework so that the road charges based on the cost of pollution and congestion are transparent and proportional. Moreover the harmonisation of the charging systems plays an important role in reducing the distortions of competition between hauliers registered in different Member States ». Sur ce point peut-être faudra t-il aller plus loin qu'une déclaration de principes ... Idem sur la question de l'interopérabilité des télépéages routiers.

Car les gouvernements nationaux n'ont pas attendu l'Europe pour instituer des taxes sur le transport routier, sans forcément chercher une cohésion d'ensemble. Ainsi, pour citer quelques exemples, en France, on annonce une ecotaxe, au Royaume-Uni, la mairie de Londres a instauré une taxe sur les poids lourds (qui dépend de la classe euro du véhicule), en Allemagne, la Maut, le télépéage kilométrique, va être augmentée pour financer le masterplan , le nouveau plan allemand de développement des transports... Bref, chacun semble jouer sa partition, et cela risque d'avoir un coût économique . L'eurovignette réussira t-elle à mettre un peu d'ordre là dedans ? Rien n'est moins sûr, mais au moins le dossier avance à grand pas.




29/04/2008
0 Poster un commentaire

Le nouveau plan d'action fret de la commission européenne

           Depuis quelques temps, et notamment l'examen à mi-parcours du livre blanc sur les transports de 2006, la commission européenne est devenue plus raisonnable en matière de transport de fret. Consciente des limites de son action (voir article précèdent notamment) et des impératifs économiques des chargeurs, comme de la grande inertie du secteur, elle a abandonné les objectifs très ambitieux du livre blanc de 2001, qui appelait de ses vœux un report modal important de la route vers les modes alternatifs et même à un découplage de la croissance économique et de la croissance en transport (faire en sorte d'avoir de la croissance économique, sans avoir de croissance du volume de marchandise transporté).

 

            Pour autant, l'Union Européenne n'en reste pas moins décidé à peser sur le transport de fret européen, en témoigne le dernier « Plan d'action pour la logistique du transport de marchandises », communication provisoire de la commission européenne, qui détaille les futures action européennes dans le domaine dans les années à venir.

 

            Dans le domaine des STI (Système de Transport Intelligents), l'UE vise notamment à uniformiser les systèmes développées pour les différents modes, pour pouvoir suivre sans problème un transport intermodal, et ainsi élaborer une norme commune d'ici 2010. Plus particulièrement, l'UE veut uniformiser les systèmes de péages routiers.

            Dans le domaine de la formation, pour lutter contre la pénurie de main d'oeuvre du secteur, l'UE veut oeuvrer pour une reconnaissance mutuelle des diplômes et pour améliorer l'attractivité du secteur de la logistique. Suivent de nombreuses propositions liées à de meilleurs indicateurs, des processus de benchmarking, d'outils d'évaluation statistiques…

 

            Peut-être de façon plus cruciale, la commission s'engage à « établir une fenêtre unique (point d'accès unique) et un guichet unique pour les procédures administratives dans tous les modes. » d'ici 2012 au plus tard et à « Formuler une proposition législative sur la simplification et la facilitation du transport maritime à courte distance en vue d'un espace de transport maritime sans barrières. » dès 2008. On ne peut que se féliciter de la relative rapidité que promet la commission.

            Dans la même veine, la commission réfléchit à un « document de transport unique pour tous les transports de marchandises, tous modes confondus », et promet une proposition législative dès 2009, et veut travailler sur la responsabilité juridique, en cas de transport intermodal, impliquant des acteurs nombreux et des pratiques contractuelles différentes.

            Tout ceci n'est pas forcément très spectaculaire mais pourrait aider à diminuer les coûts de friction causés au transport intermodal par les barrières non-physiques, et donc rendre plus compétitif ce dernier.

 

            Autre chantier crucial, le gabarit des véhicules et les normes de chargements. Ce sujet a déjà suscités des polémiques sur l'EMS (Système Modulaire Européen, ça sonne mieux que le « méga-trucks »). A ce sujet, la commission noie finement le poisson, avant d'appeler à « Étudier les options de modification des normes applicables aux poids et aux dimensions des véhicules et évaluer la valeur ajoutée d'une mise à jour de la directive 96/53/CE [directive fixant les dimensions maximales autorisées en trafic national et international et les poids maximaux autorisés en trafic international] » C'est tellement ampoulé que ça doit vouloir dire, de plus gros camions autorisés à moyenne échéance (ça expliquerait la réaction plutôt positive de l'IRU (International Road Union) : « The IRU is encouraged by the priorities set out in the EU Commission's Freight Transport Logistics Action Plan. The document recognises that modern societies cannot survive or achieve sustainable development without efficient logistics chains and that the best way to achieve this is to give industry the means but also the freedom to attain them." )

            D'un autre côté, l'UE semble vouloir ressusciter le concept d'Unité Européenne de Chargement Intermodale (en très simplifié, il s'agit de concilier l'intermodalité des conteneurs, et la meilleure adaptation des caisses mobiles aux formats des palettes européennes, dans un nouveau format de « boites » de chargement), en jachère depuis 2004. Mais imposer un nouveau type d'unité de chargement est très difficile… Dans la même veine, la proposition de favoriser la multimodalité des unités de chargement aérienne semble assez anecdotique, vu la faible importance du mode aérien, et du fait qu'il paraît difficile d'envisager que les envois de marchandises  par avion (peu volumineux, à haute valeur ajouté, nécessitant un transport rapide…) transitent ensuite par un autre mode que le routier...

 

            Enfin, si la commission se demande «  s'il ne serait pas souhaitable d'adopter des critères plus stricts applicables aux véhicules, à leur équipement et aux conducteurs, ainsi que des restrictions concernant le choix de l'itinéraire. », elle ne se risque pas à programmer des mesures concrètes [voir à ce sujet la polémique en cours sur le transport de matière dangereuse]. Ça aussi, ça doit expliquer la bonne humeur de l'IRU. Mais après avoir été déraisonnablement ambitieuse, la commission n'est t-elle pas trop timorée ?

 


23/10/2007
0 Poster un commentaire

Les propositions du Grenelle de l'environnement

En ce moment se déroule le Grenelle de l'environnement, grande messe qui rassemble des représentants de l'Etat, des associations de protection de l'environnement, des « personnes morales associés » [on apprend ainsi qu'il y a un « directeur du développement durable » à la banque populaire !?], des représentants des collectivités locales, des acteurs économiques et des syndicats. Intéressons nous à au groupe 1, qui doit proposer des solutions pour « Lutter contre les changements climatiques et maîtriser l'énergie », sous la présidence du climatologue Jean Jouzel (à regarder rapidement la composition du groupe de travail, j'ai l'impression qu'il n'y a pas trop de scientifiques, mais que tous les groupes d'intérêts sont représentés).

Les objectifs semblent ambitieux. Ils s'agit de ramener les émissions de CO2 en 2020 au niveau de 1990, alors que ces dernières n'ont cessé d'augmenter ces dernières années (+22% depuis 1990). Voici la synthèse de leurs propositions, concernant le transport (27/09) :

 

1. Créer un observatoire des transports pour établir une méthodologie partagée par les différentes parties prenantes et permettant de mesurer finement les émissions des transports. Ces outils d'évaluation constitueront le cadre nécessaire pour évaluer et piloter des démarches volontaires d'entreprises, d'administrations, de collectivités locales pour réduire leurs émissions. Ils constitueront également le cadre permettant de rendre obligatoire l'affichage des émissions de gaz à effet de serre des prestations de transport.

 

On se demande pourquoi ça n'a pas été fait plus tôt ? Peut-être parce que l'ADEME, ou l'UE se chargent déjà en partie de ces missions.

 

2. Réaliser un schéma national des nouvelles infrastructures de transport (routes, voies ferrées, aéroports, transport combiné…) pour évaluer globalement leur cohérence et leur impact sur l'environnement et l'économie, avant toute nouvelle décision. De la même façon établir et évaluer une programmation régionale des infrastructures de transport.

 

Comme si c'était déjà pas assez complexe -et long- de construire une infrastructure de transport. L'impact sur l'environnement est déjà pris en compte dans les projets (on peut évidemment le valoriser plus, mais est il besoin de créer un nouveau plan ?), on planifie déjà les infrastructures… Concilier « schéma national » et « programmation régionale » semble d'ailleurs peu évident. Qui décide de quoi ?

 

3. Déclarer d'intérêt général pour la société, au niveau législatif, la promotion et l'utilisation des modes fluvial, ferroviaires et de cabotage maritime pour le transport de fret. Cette proposition est fortement contestée par un acteur économique. [Enfoiré de routier, même au Grenelle de l'environnement on en trouve un]

 

En application de ce principe, le groupe appelle à un plan national de développement du fret non-routier dont l'objectif sera d'amener le fret non routier de 14 % aujourd'hui à 25 % du fret total, en 15 ans. Ce plan combinera :

- des mesures réglementaires, organisationnelles ou financières : réduction progressive et adaptée de la vitesse maximale pour les poids lourds après validation des premières expérimentations, généralisation du péage sans arrêt aux autoroutes, obligation d'affichage des émissions de gaz à effet de serre de chaque prestation de transports, éco-redevance ou taxe kilométrique routière, avec un accompagnement économique adapté pour les entreprises

 

On verrait ici le système allemand de péage automatique sur toutes les routes, considéré aujourd'hui comme un succès après des débuts difficiles, se généraliser. Par contre les « accompagnements adaptés pour les entreprises » me semblent une belle hypocrisie. Une réduction de la part modale de fret transporté par route fera forcément disparaître certaines entreprises fragiles, soins palliatifs ou pas. Et quelque part c'est bien là l'objectif !

 

- et un programme ambitieux d'investissements sur les points critiques du réseau ferré, fluvial et maritime pour le remettre à niveau, ainsi que de nouveaux investissements : notamment des contournements d'agglomération pour le fret ferroviaire, des autoroutes ferroviaires sur les grands axes et plus largement du transport combiné rail-route, et des autoroutes maritimes.

 

Plus d'argent pour les modes alternatifs, c'est une bonne nouvelle. Gardons à l'esprit cependant que construire de nouvelles infrastructures en France est difficile, et que les riverains –tout comme les associations écologistes- se sont opposées aux derniers projets ferroviaires ou fluviaux (contournement fret de Lyon, canal Rhin-Rhône…). En tout état de cause, faire basculer une part importante du fret routier sur les modes alternatifs risque de nécessiter des investissements très élevés, à la rentabilité aléatoire. On ne peut donc qu'être sceptique sur l'objectif annoncé de presque doubler la part des modes non-routier (voir article précédent) d'ici 15 ans. Mais on peut espérer un effort conséquent de l'Etat

 

Je cite également les trois autres propositions. La 6 est importante, car elle signifierait un budget annuel garanti de constructions d'infrastructures de transport, financé (probablement) par la TIPP. Cependant il n'est pas dit que c'est la meilleure façon d'éviter de gaspiller de l'argent public (« on a de l'argent, il faut le dépenser »), ni que ce soit adopté (en principe, les recettes de l'Etat ne sont pas réservés à un secteur particulier, suivant la règle de non-affectation)

 

4. Rationaliser l'usage de l'automobile et amener les émissions moyennes de CO2 des véhicules automobiles en circulation de 176 g CO2/km à 130 g CO2/km en 2020 en combinant réglementation et incitation : réglementation à 120 gCO2/km en moyenne sur les véhicules neufs en 2012 (au lieu de 130 g dans les discussions actuelles), réduction de vitesse immédiate de 10 km/h sur les routes et autoroutes, éco-pastille annuelle avec un système de bonusmalus, conseils et formations pour l'éco-conduite, avec un accompagnement économique adapté pour les ménages et les salariés contraints d'utiliser leurs véhicules.

 

5. Rétablir le vrai coût du transport aérien dont les émissions augmentent rapidement, en l'intégrant dans le marché de quotas de gaz à effet de serre, voire par une taxe sur le kérosène augmentant le prix des trajets aériens qui sont desservis par une ligne ferroviaire à grande vitesse (par exemple sur le trajet Paris-Strasbourg, ou Paris-Londres), et en supprimant les subventions publiques aux compagnies à bas coûts (« low-cost »).

 

6. Affecter une part importante des ressources de la fiscalité environnementale à l'AFITF (agence de financement des infrastructures de transport de France) pour le financement d'infrastructures de transport alternatives à la route et à l'aérien, et aux collectivités territoriales pour le financement des transports collectifs.

 

Voila. Un post plus long, plus critiquable et polémiste que d'habitude.  Plus de détail ici, pages 44 à 52 (même pas capable de faire une mise en page correcte L), avec notamment des propositions concrètes de réalisation d'infrastructure.  Rendez vous fin octobre pour le plan d'action et les décisions concrètes, après arbitrage du MEDAD. En matière de transport de fret, même si les apôtres du « YaKa » seront forcément un peu déçus, les choses devraient bouger !

 


16/10/2007
0 Poster un commentaire

Le financement du transport maritime courte distance en question

Comme le dit très justement Anne Galais dans la note de synthèse98 de l'ISEMAR( Institut Supérieur d'Economie Maritime ), « le cabotage maritime est protéiforme : on a parlé tantôt de cabotage, de feedering, de merroutage, de transport ferry, d'autoroutes de la mer et de transport maritime à courte distance » [néanmoins toutes ces notions ne sont pas complètement équivalente]. Thématique très à la mode dans les milieux politiques, nationaux comme européen, le cabotage est un transport maritime à courte distance, qui vise à transporter des semis remorques, des camions entiers ou des conteneurs par bateaux, et en tout cas à faire baisser cette maudite part modale de la route (voir à ce sujet le livre blanc de 2001, exposant les objectifs anti-camion de Bruxelles, objectifs sérieusement nuancés dans le compte rendu à mi-parcours de ce livre blanc en 2006). On se base ainsi sur le succès du mode maritime, qui est, de loin, le seul mode à rivaliser avec le camion, avec un trafic à peu près égal pour les deux (un peu plus de 1200 milliards de tonnes-kilomètre en 1999 pour l'Europe des 15). D'où l'idée de créer des nouveaux axes de transport maritime (ainsi entre Bilbao et Saint-Nazaire).

Or selon l'ISEMAR « le marché est délicat d'accès », car l'investissement initial (notamment les études, les navires, le personnel, voire des installations portuaires…) est important, et « les pertes au démarrage sont inévitables et fort conséquentes en raison [du] taux aléatoire de remplissage du navire. ». C'est pour cela que des subventions publiques sont nécessaires pour permettre aux opérateurs privés de lancer leur ligne.

 

            Ces subventions, à la fois européenne et nationale, existent. Mais leurs mises en application sont difficiles. Notamment les aides nationales sont elles étroitement restreintes par la législation concurrentielle européenne. A ce sujet A. Gallais remarque que si la commission tolère dans ce cas précis les presque inévitables distorsions de concurrence induites par les subventions publiques, c'est uniquement le cas lorsque seul le routier est pénalisé, et pas le ferroviaire.

Quand aux aides européennes, elles sont nombreuses, mais longues à se débloquer, et souvent assez faible. Nombreuses, car un projet de Short Sea Shipping peut recevoir des fonds au terme de la politique favorisant l'Intermodalité (par exemple le programme Marco-Polo qui offre des aides à certains projets de services de transport intermodaux, ou le programme RTE-T qui finance les infrastructures), mais aussi au terme des aides pour les régions européennes défavorisées (ainsi le programme FEDER et le programme de cohésion), au sein des nouveaux entrants et en l'Europe du sud, ou encore au terme de programme de recherche et d'innovation, tel le PCRD !

On pourrait se dire que cette situation est bénéfique aux opérateurs de transport maritime. Seulement, ces subventions ne sont souvent pas très élevées (ainsi en 2005, les 16 projets -dont 8 de transport maritime courte distance- retenus par le programme Marco-Polo se sont partagés 21 millions d'€, et en 2006 15 projets 19 millions d'€, à comparer avec les 400 millions d'€ annoncé d'investissement pour la ligne Bilbao/Saint-Nazaire), et un projet nécessite donc une « excellente maîtrise des combinaisons possibles de l'ensemble de ces subventions », ce qui a un coût certain en terme de temps et de personnel, pour réussir à éventuellement cumuler les sources de financement possibles. En outre, la commission exige des conditions de rentabilité à court terme (les opérateurs doivent montrer qu'ils ne perdront plus d'argent au bout de deux à trois ans) difficiles à atteindre. A. Gallais conclut sur les paradoxes de l'action communautaire, qui entre autre n'arriverait pas à se démarquer assez de sa culture de promotion de la concurrence.

 

Bref, il semblerait que la machine bruxelloise soit trop lourde pour être vraiment utile sur ces dossiers complexes. Mais le principal problème est peut-être plus général. Avec quelques dizaines de millions d'euros, l'Europe a-t-elle les moyens d'impulser une vraie politique favorisant l'intermodalité pour tout le continent? Et même, au simple niveau comptable, est il vraiment utile de créer en si grand nombre  des bureaux d'étude européens distribuant des subventions aux mécanismes complexes? Il serait peut-être cruel d'examiner le ratio budget de fonctionnement/ subventions alloués de certains services. Peut-être l'UE gagnerait-elle à concentrer ses subsides sur certains domaines…


16/10/2007
0 Poster un commentaire

Menace sur le Transport de Matière Dangereuse (TMD)

8% des marchandises transportées (soit 11 milliard de tonne/km), sont qualifiées comme « dangereuses », en raison de leurs propriétés explosive, inflammable, comburante… Il est intéressant de s'intéresser à ce secteur, où la part des modes non-routier est assez importante (25 % pour le train et 17 % pour les bateaux), et au derniers débat à ce sujet au sein de l'Union Européenne (UE). Mais avant cela il est malheuresement nécessaire d'essayer de comprendre la situation légale du transport de marchandise dangereuse au sein de l'UE.

 

La législation concernant le transport de marchandise est plutôt complexe. Chaque Etat était libre de gérer son trafic intérieur comme bon lui semble, mais le trafic international est lui depuis 1957 géré par des accords multilatéraux (en Europe en tout cas). Ainsi, pour chaque mode de transport, une réglementation issue d'une filiale de l'ONU , l'UNECE, a été adopté l'ADR (Accord européen relatif au transport international des marchandises dangereuses par route) pour la mode routier, le RID (Règlement concernant le transport International ferroviaire des marchandises Dangereuses) pour le mode ferroviaire, et l'ADN (Accord européen relatif au transport international des marchandises Dangereuses par voies de Navigation intérieures) pour le mode fluvial. Les deux premiers ont été signés par presque tous les pays de l'Union Européenne, le troisième devrait rentrer en application en 2009 chez les 9 pays européens signataires, alors que deux accords (différents)sont déjà appliqués sur les bassins du Danube et du Rhin (ADN-D et ADN-R). Ces accords sont révisés tous les deux ans.

Tous ces accords ont pour but de définir des normes  communes de sécurité (contre les accidents) et de sûreté (contres les actes de malveillance), mais pas de fixer les règles commerciales d'importation et d'exportation de ces marchandises. Les Etats gardent le droit de réglementer ou d'interdire le transit de certaines marchandises dangereuses sur leur territoires s'ils le souhaitent (« pour des raisons autres que la sécurité »).

 

L'UE, en partant des ces accords internationaux, a voulu construire une législation qui soit commune à tous les transports de marchandise dangereuses, qu'ils soient nationaux ou internationaux, et qui soit au maximum harmonisée entre les différents modes de transport

« Aussi est-il admis que l'harmonisation des règles aurait un effet bénéfique dans tous les domaines : sur le plan économique elle se traduirait par une réduction des coûts; sur le plan social, l'harmonisation faciliterait l'application des règles et renforcerait ainsi la sécurité; et sur le plan de l'environnement, les risque seraient réduits pour les mêmes raisons. »

 

D'accord...Mais, en admettant que cette harmonisation ait vraiment un impact notable, si on facilite le trafic de matière dangereuse, ne risque t-on pas de favoriser une augmentation du trafic de matières dangereuses entre les pays, notamment en ce qui concerne les déchets, en direction par exemple du sud de l'Italie, ou des pays de l'est, peut-être moins regardant ? La commission se donne comme objectif de favoriser la multi-modalité, mais cet objectif est il si louable dans le cas présent? En effet, on peut penser que c'est surtout le TMD longue distance qui pourra emprunter le train ou le bateau pour un coût acceptable… L'enfer est pavé de bonne intention ?

En tout cas de cet objectif a découlé une véritable cathédrale législative avec 4 directives[1], dont deux sont maintenant inutiles selon le propre aveu de l'UE. Ces directives, qui intègrent les éléments des accords de l'UNECE, doivent donc également être révisé tous les deux ans, et, plus long et onéreux , traduit dans la trentaine de langue officielle de l'UE ! C'est pourquoi d'ailleurs l'UE veut déléguer cet effort de traduction aux Etats (on peut penser que cela aboutira à une baisse du nombre de traduction). Mais tel n'est pas l'objet de cet article.

 

Dans son nouveau projet de directive, amendé récemment par le parlement européen, l'UE veut rassembler les dispositions non redondantes des textes communautaire précèdent dans une seule directive. Seul changement pratique d'importance, la commission veut intégrer la batelerie dans le domaine d'application de la directive.

 

Bref, beaucoup d'énergie (la commission y travaille depuis 1997 !) pour pas grand-chose ?

Pas tout à fait. Lors de la lecture au parlement européen, les députés ont légèrement modifié le projet de directive. En particulier l'amendement 45 (qui correpondait à une proposition rejetée de la commission)  permet maintenant aux Etats membres d'imposer les itinéraires, et le mode de transport pour les marchandises dangereuses. On peut imaginer l'intérêt d'une telle option pour les tunnels transalpins, par exemples. On pourrait ainsi forcer les camions de matières dangereuses à emprunter l'autoroute ferroviaire développé par MODALOHR. Ceci dit, le tunnel du mont blanc est déjà interdit aux matières dangereuse, et que le tunnel du Fréjus réglemente ou interdit le transport de ces marchandises, selon leur catégorie. L'IRU (Internatinal Road Union) s'étrangle : « The IRU  strongly opposes the proposal to impose the mode of transport to be used in the case of transport of dangerous goods. Besides being anticompetitive and therefore questionable vis-à-vis European law, this proposal will also severely penalise the entire chemical goods industry, its competitiveness and especially the carriers of dangerous goods themselves.", et a beau jeu de decrier l'amalgame entre objectif de report modal et objectif de sécurité (celui de l'ADR), pas forcément semblables. Car c'est évidemment le camion qui est visé ici. Et si on commence à imposer des itinéraires et des modes pour le TMD (et avec les nouvelles technologies, style RFID, cela devrait être possible), cela créera incontestablement un précèdent.

 

Cette mesure aura-t-elle une réelle portée ? En tout cas, il semble qu'elle permette de susciter des gestes politiques forts et visibles. On ne peut que se féliciter que les députés européens aient remis un peu de politique dans un texte aussi bureaucratique…



[1] Une directive est un acte législatif européen proposé par la commission, discuté par le parlement et adapté par le conseil européen (réunion des ministres des pays européen concernés). Pour avoir valeur légale dans un pays, la directive doit néanmoins être transposée dans le droit national du pays en question (ce qui est obligatoire, mais loin d'être  toujours fait dans les temps).


09/10/2007
0 Poster un commentaire