L'IRU publie son bêtisier

Quand j'ai commencé à prospecter Internet sur le secteur du transport de marchandise, je suis tombé immédiatement sur le site de l'IRU, qui rassemble les organisations professionnelles du transport routier, à l'échelle du monde (presque) entier. Clair, précis, relativement concis, ayant le bon goût de proposer des textes parfois traduits en français, je considère ce site comme assez exemplaire. Il est ainsi beaucoup plus facile de trouver les dernières décisions de l'UE sur le secteur des transports routiers sur le site de l'IRU, que sur le site de l'Union Européenne (un véritable foutoir, composé d'une multitude d'entités différentes, pas toujours actualisées régulièrement, néanmoins, une fois qu'on l'a découvert, la lecture de la partie transport de l'UE digest hebdomadaire est extrêmement enrichissante).

Reste que bien sûr, l'IRU, cela reste une bande d'affreux lobbyistes, défendant de surcroît un secteur qui n'a pas bonne presse. Vu que le lobbying est plutôt mal vu en France, en bon français, je me suis amusé à relever les contradictions et les accès de mauvaise foi[1] du document récapitulatif de l'action de l'IRU en 2007, « This is The IRU ».


On passera sur l'introduction du président tchèque, qui peut faire sourire parfois : « C'est même pour l'IRU une obligation statutaire que d'œuvrer pour le bien public, pleinement consciente du rôle irremplaçable que joue le secteur pour unir les hommes». Ça doit être le style anglo-saxon. Le gros sujet  du moment, c'est bien sûr le CO2. Et là l'IRU peut se montrer très subtile, mais aussi beaucoup moins. Dans la première catégorie un graphique sur les pays occidentaux de l'OCDE, qui donnerait à penser que le découplage (faire en sorte que la croissance de l'économie n'induise pas une croissance du transport), dont l'UE avait fait un de ses objectifs lors de la parution du livre blanc en 2001, est devenue une réalité. Depuis 15 ans la croissance du PNB a ainsi augmenté trois fois plus vite que le transport routier !




                   source : "this is the iru 2008", page19


Toute l'astuce ici, consiste justement d'utiliser le PNB -la production de richesse généré par les actifs (au sens comptable) français, en France et à l'étranger- (et non, le PIB -la richesse produite en France-), PNB dont la hausse, dans un contexte de mondialisation, n'a pas de raison particulière de générer forcément du transport, si elle est le fait d'actifs à l'étranger…  «L'industrie des transports routiers prend des mesures pour transporter mieux plutôt que transporter plus ». Peut-être, mais l'effet reste à démontrer !


La subtilité, c'est difficile à tenir sur 68 pages. Et si l'IRU affiche un vœu de favoriser le développement durable, il n'est pas besoin de creuser très loin pour trouver des contradictions évidentes. Ainsi, si l'IRU prétend avoir un plan d'action pour limiter les émissions de CO2 (en gros, et ce n'est pas idiot, améliorer les véhicules et les infrastructures, et inciter les entreprises à de meilleures pratiques, les « 3i »), elle ne peut s'empêcher de tacler le réchauffement climatique, à l'origine de ce plan d'action pourtant ! A partir d'un raisonnement sur la région de Genève, l'IRU entend montrer que « l'histoire de la Terre inscrite dans la roche prouve que la planète a déjà subi de très nombreux cycles de réchauffement / refroidissement, allant de la palmeraie au désert de glace. C'est pourquoi, soyons objectifs et réalistes, l'histoire de la Terre gravée dans la roche démontre clairement que la supposée corrélation entre la production de CO2 et le réchauffement climatique n'est pas suffisante pour en prouver la causalité. » Qu'il est dur de se mettre dans la peau d'un gentil défenseur du politiquement correct, après 60 ans à promouvoir le méchant camion...

      Encore, la dernière phrase reste vraie dans l'absolue, même si tous le sens des débats actuels, c'est bien d'essayer d'atténuer une catastrophe très probable (mais effectivement, le climat n'est pas une science exacte). Par contre l'IRU peut prendre aussi ses lecteurs pour de vrais idiots : « Il n'est donc pas surprenant de constater que le Protocole de Montréal sur la réduction des gaz à effet de serre, qui repose non pas sur une fiscalité inefficace mais sur des bases scientifiques sérieuses qui ont permis leur élimination, contribue déjà bien davantage à la réduction des gaz à effet de serre que ce que prévoit celui de Kyoto jusqu'en 2012. » Le protocole de Montréal (effectivement une réussite exemplaire) a consisté à interdire depuis 1987, l'utilisation par l'industrie des substances qui détruisent la couche d'ozone (principalement les CFC), substances qui doivent être a priori des gaz à effet de serre. Mais d'une part, c'est hors-sujet, et surtout, pour les CFC, il y avaient des solutions de remplacement (de plus, on ne peut pas dire que les aérosols soient indispensables à l'économie).


      Bon, on l'a compris, l'IRU refuse le système des permis d'émissions (qui pour l'instant ne concerne pas le transport routier, mais on n'est jamais trop prudent en la matière), qu'elle préfère appeler « droit de polluer », comme une vulgaire association environnementale de gauche !

Le comble de la mauvaise foi est atteint avec ce passage, que même le plus idéaliste des altermondialistes n'oserait écrire : « il est nécessaire que les recettes tirées des taxes sur le CO2 soient utilisées à titre de mesure budgétaire pour compenser, dans les pays producteurs, la baisse des exportations de pétrole qui résulterait d'une baisse de la consommation des énergies fossiles ». Personnellement, je trouve ça très drôle…

Le comble de la contradiction est quant à lui atteint avec ce passage quelques pages plus tard : « l'IRU soulignera les avantages du principe de «compensation des dommages à moindre coût (cheapest cost avoider principle). Ce principe économique qui a valu le prix Nobel à Ronald Coase, soutient que les coûts externes ne devraient pas systématiquement être payés par la partie qui en est à l'origine, mais par celle qui peut le faire en nuisant le moins possible à l'ensemble de l'économie » Je suis entièrement d'accord. L'ennui, c'est que le cheaper cost avoider principle, c'est justement les permis d'émissions (du moins dans la thérie économique) décriés 5 pages avant, permis inspirés des théories de Coase. A ce niveau, on se moque vraiment du lecteur !


      Qu'on ne se méprenne pas, cet article ne veut pas dire que l'IRU n'est pas une bonne organisation, même si évidemment, à publier des textes aussi minables, on rend service au blogeur dont le thème n'est d'habitude pas très marrant (et c'est tellement plus facile de critiquer). Au terme des actions constructives de 2007, on peut cependant retenir une étude conjointe avec l'UE sur l'accidentologie routière liée aux camions, la promotions de l'EMS, l'action de formation des conducteurs et des entreprises, le réseau constitué dans les pays émergent (mer noire, Inde, Chine, Russie…), les actions locales en faveur de simplifications des procédures douanières… L'IRU est même à la pointe du combat face au « défi croissant que représente la prolifération du VIH/SIDA parmi les conducteurs professionnels ». Décidément, pour en revenir à la première citation, le transport routier c'est bel et bien un secteur qui unit les hommes et les femmes du monde entier !



[1] Et je ne suis pas exhaustif !



16/01/2008
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