TLF et l'optimodalité

      

   Tenir un blog de qualité (enfin je l'espère) est une vraie contrainte, elle oblige à un investissement soutenu, chaque semaine, pour produire assez de billets assez fournis, et surtout effectuer tout le travail en amont de recherche et de recoupement des informations. C'est pourquoi le sujet récurrent, polémique et facile, est une bénédiction : après le cercle de l'optimodalité et l'autoroute ferroviaire, voici ici le troisième compte-rendu des aventures de Modalhor…

 

   Le 16 avril, les présidents de TLF (un syndicat de professionnels de la route) et du Cercle pour l'Optimodalité, ont tenu une conférence de presse sur leur « plan d'action ». Le compte rendu est disponible et nous apprend pas mal de choses intéressantes. Ce qui est impressionnant avec Modalhor, c'est que la fuite en avant est clairement leur philosophie d'entreprise. L'autoroute ferroviaire ne décolle pas (voir le lien ci-dessus) ? Ce n'est pas ce genre de détail qui va arrêter l'action, avec le plan européen de lignes ferroviaires, la mise à grand cadencement des autoroutes ferroviaires, prévus très prochainement. Et surtout ça n'empêche pas l'innovation...

 

   Ainsi le Cercle préconise la création d'autoroutes fluviales sur la Seine, et sur le Rhône. Transporter des remorques sur des barges fluviales, ce n'est pourtant pas forcément l'idée du siècle (ça déjà été fait, je crois), vu les relativement faibles distances des deux fleuves (en ligne droite, puisque les méandres de la Seine augmentent considérablement la longueur du trajet), et le fait qu'on ne peut pas empiler des remorques (au niveau environnemental, le bilan ne doit donc pas être extraordinaire). Et puis, il n'y a pas forcément de marché suffisant entre le Havre et Paris, par exemple, pour justifier un service de transport (très) lent de remorque (au contraire du trafic de conteneur), pour envisager un service à grande fréquence.

   Plus original, le Cercle préconise des services d'autoroutes combinés : la future autoroute maritime, au départ de Gijon, au nord ouest de l'Espagne,  s'arrêterait à Nantes, pour renvoyer les remorques sur la future autoroute ferroviaire qui s'arrêterait à Nantes aussi et rejoindrai ensuite Paris et Lille. Je ne sais pas si la future autoroute ferroviaire est toujours destinée à faire du Dourge-Bayonne (ça parait peu vraisemblable, vu le détour par Nantes, donc c'est sans doute ce qui est envisagée). A ce propos lire la communication de Modalhor, en bas de la page, qui avoue que seuls 10% ( !!!) des camions pourront emprunter cette liaison : « La ligne ferroviaire sur l'axe atlantique présente l'inconvénient de ne pas être au gabarit GB1 avant quelques années, de part la quinzaine d'ouvrages à gabarit réduit à dégager entre Poitiers et Irun, ce qui ne sera réalisé avant 2012 au moins… » Comme si il n'y avait que le problème du temps !

 Evidemment cela appelle quelques remarques rapides, mais non exhaustives :

-Il existe déjà une « autoroute maritime », de Nantes à Vigo (juste au nord du Portugal, à peine à 300 km de Gijon), qui existe depuis 30 ans (4 départs par semaines), on peut donc penser que la concurrence sera forte.

_Ce service va cumuler les aléas de deux systèmes de transports : la congestion portuaire plus la congestion ferroviaire, les grèves de la SNCF, plus celles des ports, les incidents techniques du rail, plus les intempéries en maritime… A partir de là, tenir les délais pour ne pas manquer le double sillon ferroviaire risque de représenter une gageure.

_ La liaison entre le terminal roulier de Nantes (Montoir), et le futur terminal Modalhor (les terminaux portuaires sont reliés au ferroviaire gabarit GB1, mais pourra t'on placer les quais spéciaux de Modalhor directement sur le port ?), s'annonce très problématique et coûteuse (il faudra des tracteurs et des chauffeurs sur place, pour réaliser le transbordement)

-Un navire roulier transporte en général plusieurs centaines de camion (230 par navire pour la liaison envisagée entre Nantes et Bilbao), alors qu'un train Modalhor transporte 80 camions (effectivement, on pourrait les faire plus grand, mais dans ce cas, le quai spécial est aussi plus grand et plus cher…), ce qui risque de poser problème.

   Sinon, la problématique du financement des navires a été évoquée (certains voudraient que l'état subventionne les navires, « comme les infrastructures »), et surtout Modalhor annonce un rabais sur son autoroute ferroviaire (AF) qui tarde à décoller. De 1000€, le tarif va descendre à 750 € (c'est annoncé comme provisoire). Evidemment, on ne parle pas ici d'équilibre des coûts, mais cela rendra peut-être l'expérience Modalhor plus présentable, au niveau commercial. Au passage, on admirera le lobbying de TLF : « C'est pourquoi, loin du champ médiatique et politique qui accompagne toujours le lancement de tel service, TLF qui soutient cette initiative depuis son origine, a obtenu de l'opérateur LORRY RAIL une offre de test à 750€ par voyage, valable à partir d'un voyage par jour et par sens pendant la durée qui sera nécessaire aux équipes pour faire tester l'intégration du service dans leur organisation. » Merci, TLF, pour ce cadeau qui ne vous coûte absolument rien… A noter cependant que réaliser un voyage par jour, et par sens, sur l'itinéraire Luxembourg-Perpignan, ne doit pas être si courant.

   Tout ça pour quoi ? Pour protéger l'environnement bien sûr. Selon Modalhor, passer par l'AF Perpignan Luxembourg permet d'économiser "20 € de carbone", par remorque. Ça ne veut pas dire grand-chose, mais à raison de 33 litres au cent et de 1000 km, on arrive à peu près à 330 litres de gasoil, soit environ 1 tonne de CO2 (en prenant comme acquis qu'un train n'émet rien, ce qui, même pour une ligne électrifiée, est contestable, vu que la SNCF achète une partie de son courant à l'étranger). C'est effectivement beaucoup. En attendant, le service doit coûter infiniment plus en perte d'exploitation que 20€ par camion (la FNTR, qui n'est certes pas forcément impartiale, parle de 1 million d'€ de perte par mois). Et les entreprises de transport combiné  ont du bien rire (jaune) en entendant Modalhor affirmer être plus efficace énergétiquement que le transport combiné. Cela me parait peu crédible, vu que Modalhor transporte beaucoup plus de tare, le « poids mort », constitué par la remorque routière (alors que le transport combiné transport juste la caisse, sans le châssis). Je ne vois donc pas comment la « masse tractée » serait plus faible de « 18% » avec l'AF, ce serait plutôt le contraire. A moins que les wagons Modalhor soient beaucoup plus légers, en plus d'être considérablement plus cher ?

 

   A côté, certaines autres initiatives de TLF, décrites dans le même document, ont peut-être un rapport coût/résultat beaucoup moins élevé : développer les outils de mesure systématique des émissions (notamment pour les sites logistiques), développer la formation des conducteurs, afficher la dépense énergétique du transport… Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas promouvoir le report modal, mais pas à n'importe quel coût.

 Au final, on peut se demander pourquoi TLF soutient Modalhor, alors que les autres syndicats de professionnels de la route, tel la FNTR, dénoncent régulièrement cette compagnie. C'est sans doute très réducteur, mais je ne peux m'empêcher d'énoncer ici ma théorie du complot. A un moment, on va faire les comptes de ça que coûte, ces services innovants de transport, comparé à ce que ça fait économiser en CO2. Et plus Modalhor aura pu aller loin, plus le retour de manche politique sera important. Et là, on n'embêtera plus les transporteurs routiers avec l'intermodalité pour un bon moment…



21/04/2008
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