Le porte-conteneurs qui veut se faire aussi gros que le Knock Nevis

J'avais consacré à la fin de l'année dernière un article sur la prise de poids des porte-conteneurs. Une annonce du coréen STX Shipbuilding me permet de revenir sur le dossier. Le prochain porte-conteneurs aurait une capacité de 22000 boîtes, un mastodonte dont la simple vue devrait être capable d'effrayer même le pirate somalien le plus endurci.

Simple opération de communication, pour un groupe dont la prise de contrôle récente de l'européen Aker Yard a plutôt été mal perçu (chez les salariés au moins) ? Possible, mais en tout cas c'est l'occasion de réfléchir un peu sur l'économie de la conteneurisation.

 

Mer et marine s'en fait l'écho : STX étudie sérieusement un porte-conteneurs de 22 000 EVP (équivalent vingt pieds, l'unité de compte des conteneurs). Selon un compte rendu de Maeil Bussiness, un site coréen, apparemment des allemands avaient déjà conçu l'année dernière un 20 000 EVP (jamais entendu parler, et rien trouvé sur Internet). En tout cas, la capacité sera augmentée de 50% par rapport au plus grand bateau en exploitation actuellement, l'Emma Maersk. Mais techniquement le bateau ne semble pas énormément plus grand : 60 mètres en largeur contre 56, 460 mètres de long (on atteint là le niveau des super pétroliers des années 70 qui ont finis à la casse) contre 400 mètres, ou encore 30 mètres de haut (comme l'Emma Maersk). Le secret pour y mettre plus de boîtes doit donc être dans le nombre d'empilement ?

     Au niveau du tirant d'eau, crucial pour le passage de Suez (17 mètres et bientôt 22 mètres) et le mouillage au port, par contre il n'y a pas d'information. Selon sustainable shipping, "STX claim that their new container ship [...] has been designed with port limitations in mind." Mais sans doute parle t-on ici d'un faible nombre de ports. Ports qui devraient commencer à fatiguer de sans cesse investir dans des équipements pour des nouveaux navires toujours plus grands, et de draguer leurs fonds de quai et leurs approches (ce qui est cher, et qui n'est pas sans avoir un impact environnemental). Ici le but est bien sur d'économiser sur les charges (la surface du bateau, et donc l'acier nécessaire, croit moins vite que son volume, et donc sa capacité; l'équipage reste le même...), par rapport au nombre de conteneurs transportés. En particulier, en ces temps d'explosion du prix du fioul lourd, la compagnie coréenne insiste sur un gain (théorique) de carburant (et donc un gain en émissions de CO2) de 40% par conteneur transporté.

 

Je ne vais pas réécrire  mon article de novembre dernier. Les interrogations sur la stabilité de tels navires, ou leur temps de stationnement au port, sont d'autant plus plausibles a priori. Il y a bien un moment où les prophètes de mauvais augures (souvent des chercheurs de l'université publique) finiront par avoir raison (gardons en mémoire, toutefois, que les cassandres annoncent  l'explosion de la grenouille depuis au moins le seuil de 8000 EVP).

Cependant, le problème vient peut-être aussi d'un raisonnement économique qui atteint ses limites. En période de crise, avec la hausse des coûts du transport maritime induite par la hausse du pétrole, réduire les coûts en massifiant les flux sur la grande route Europe Asie Amérique parait logique. Réduire toujours plus le nombre d'escales au profit de quelques super ports aussi. Mais on voit bien que ce schéma conduit à un système toujours plus vulnérable, entre des super ports européens soumis à une forte pression environnementales et des lieux de production en Asie qui pourraient avoir tendance à se déconcentrer, vu la logique hausse du coût du travail dans l'est de la Chine, qui accompagne la tout aussi logique élévation du niveau de vie.

Mais comment espérer revenir en arrière, si on a mis en place un système de rotation de navires de 22000 EVP (et, avec la baisse des vitesses due à la hausse du pétrole, il faut au moins 8 navires pour assurer une fréquence d'un navire par semaine pour chaque port desservi  entre l'Asie et l'Europe), qui ont une durée de vie de 30 ans (je suis pas sûr du chiffre), et qu'on ne peut exploiter que dans des ports très particuliers ?

Ce questionnement est aussi celui de Janet Porter, dans le blog du lloyd : "But what if the cost of transporting merchandise over these vast distances ceases to make sense as consumer spending slows and Asia loses its cost competitiveness? Could manufacturing be shifted back closer to the marketplace, rendering many of these leviathans redundant?"

 

    Bref, sans connaître vraiment en détail le monde du transport maritime, je ne parierai pas trop sur ces 22 000 pieds, au moins dans l'immédiat, avec cette période économique marquée, non par la crise (on n'est pas en récession, le chômage baisse...) mais par une très forte incertitude. Plus que des raisons techniques, ce sera plus sûrement le risque financier qui fera reculer les armateurs...



P.S.: l'histoire triste du Knock Nevis, navire géant né au mauvais moment



05/06/2008
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