La logistique, le nerf de la guerre modale

Le type et l'emplacement des zones logistiques est essentiel pour le choix des modes de transport. La révolution de la logistique des 20 dernières années (lire à ce propos Michel Fender, par exemple) s'est cependant essentiellement construite autour du camion. Avec la conjoncture actuelle, les modes alternatifs vont-t-ils pouvoir tirer leur épingle du jeu ? Quelques éléments de débat.

 

Ces derniers temps la logistique a eu tendance à se complexifier en Europe. Par exemple, pour la grande distribution, les magasins ne sont (pour la grande majorité des produits) plus livrés directement par les producteurs et les industriels, mais en passant par des plate-formes logistiques sous la responsabilité du distributeur (et dont l'exploitation est en général externalisé à un prestataire logistique).

Au lieu d'avoir un camion qui sort de l'usine et va livrer les différents magasins d'une zone, ce camion va livrer la plate forme régionale, qui va ensuite affréter des camions chargés au maximum (dans le jargon du milieu, on parle de FTL « Full Truck Load ») de différentes marchandises pour chaque magasin.

Cela a beaucoup d'avantages pour le distributeur, notamment comme on l'a dit d'améliorer le taux de remplissage des camions, mais aussi de mutualiser le stock de sécurité entre les magasins et donc de pouvoir réduire ce stock, de pouvoir livrer ses magasins plus souvent, avec des plus petites quantités de chaque marchandise, et donc de réduire le risque de rupture en linéaire d'une part. Egalement cela permet de pouvoir diminuer la surface de stockage du magasin, et donc augmenter celle consacrée à la vente… Enfin tout cela est (beaucoup) mieux expliqué dans un des derniers rapports du SETRA (un service du ministère de l'aménagement durable), la logistique de la grande distribution, par Damien Orsini. A noter que des phénomènes relativement semblables tendent à organiser d'autres chaînes logistiques, entre un industriel et ses fournisseurs par exemple.


        Bien sur, ces évolutions n'ont pas que des bons côtés. Du point de du transport [1] on peut s'inquiéter de voir apparaitre d'énormes nouvelles zones logistiques, souvent situées loin des villes, là où le foncier est moins cher, et où les communes veulent attirer les entreprises. En région parisienne, les nouvelles zones logistiques s'implantent parfois au fin fond du 77. Mais il y aussi de quoi être plus optimiste. D'une part, les nouvelles organisations permettent de mutualiser les flux et d'augmenter l'efficacité du transport (voir le rapport du SETRA pour les exemples). D'autre part, avec la massification des flux entre producteur et plate-forme logistique, les modes alternatifs au routier gagnent en compétitivité.[2]

En théorie, car encore faut t-il que les plates-formes soient reliées d'une façon ou d'une autre au réseau, et que le distributeur (ou plutôt son prestataire) fasse l'effort de complexifier sa chaîne logistique, et de développer de nouvelles compétences pour ses personnels.

A ce sujet, une étude de juin 2008 de Jones Lang Lasalle, Freight Transport: Road versus Rail – Modal changes ahead? (disponible sur simple demande ici), fournit quelques éléments de réflexion, et suscite également des interrogations. En interrogeant près de 300 responsables de site logistique, les auteurs ont cherché de mesure la part modale captable par le ferroviaire. Autant le dire tout de suite, les auteurs ne croient pas à un basculement massif dans les années à venir. Selon le cabinet « Today a number of important considerations support an increasing share of rail transport. At the same time, current restrictions in the European rail network are offsetting these benefits. While road transport continues to be faster and more efficient than rail and the cost factor is not higher, operators will resist being pushed off the roads. As a result it is still too early to see operators moving a significant share of their freight to rail".[3] C'est d'ailleurs ce qu'a retenu le lloyd.

Mais certains résultats de l'étude sont tout de même encourageants : ainsi 41% des répondants estime qu'à brève échéance (moins de 5 ans), avoir un accès direct sera « a critical issue » (les responsables sont encore une majorité, 54%, à penser le contraire, mais vu les parts modales du rail, ce n'est déjà pas si mal). De plus, 46% des répondants pensent intégrer à moyen terme un accès direct au rail à  leur chaîne logistique. Encore plus étonnant 45% des répondants affirment avoir déjà un accès direct ! Cela semble beaucoup trop élevé (en France, le nombre d'Installations Terminales Embranchées a plutôt tendance à diminuer), et JLL ne sait pas trop l'expliquer (les répondants ont peut-être compris la question différemment de moi). A noter quand même que 80% des entreprises sont prêtes à payer plus pour avoir accès au rail.

Cela n'empêche pas JLL de poursuivre avec une rare mauvaise foi :  « Following from this, it seems unlikely that demand for logistics sites offering direct rail access will significantly increase in the future, as a large number of operators apparently already have satisfied this condition". Dans la même veine, la conclusion est un modèle d'illogisme. Après avoir accumulé en 10 pages les indices en faveur de l'importance du ferroviaire, le cabinet va conclure au forceps : « Therefore we do not see any urgency for developers to necessarily offer direct rail access at new logistics sites today, so long as they meet the current needs of a modern integrated logistics supply chain. The added value of direct rail access currently represents only an ideal". Il devait y avoir une divergence de vue entre le junior et le senior…

Reste que des zones logistiques avec accès ferroviaire où jamais aucun train n'arrive, ça existe. On peut citer à ce propos la zone logistique de Vierzon, où devait aboutir un projet de port sec. Avoir un accès au train, c'est encore la partie la plus facile du chemin…

 

[1] La question du  nouveau rapport de force producteurs/distributeur induit par ces organisations est également cruciale, mais ne concerne pas le sujet de ce blog

[2] A l'appui du propos, on peut citer la SAMADA avec monoprix, l'initiative commune de distributeurs lyonnais pour favoriser le transport fluvial, ou encore la nouvelle organisation de Kronembourg

[3] On relèvera quand même page 5 que le cabinet a mal interprété un graphique de l'agence européenne de l'environnement, confondant la courbe des émissions de CO2 prévus  du ferroviaire (qui va décroitre, avec la hausse attendue de l'électrification) et celle du fluvial (qui devrait rester stable), pour en tirer des conclusions erronées (conclusions déjà tirées par les cheveux sans la confusion). Cela fait plutôt désordre.



30/07/2008
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