L'écotaxe face aux revendications régionales

Le chemin est encore long et semé d'embuches pour l'écotaxe, une des mesures phares du Grenelle, dont la mise en service est prévue en 2011, soit une année pré-électorale. Dernière force réactionnaire à s'être levée : la chouannerie bretonne[i].

 

J'ai déjà parlé précédemment de  l'écotaxe, qui consisterait à taxer les véhicules routiers de transport de marchandises sur le réseau secondaire (sans les autoroutes), proportionnellement à la distance parcourue, avec un dispositif automatique. Dans cette  période troublée où nous sommes, nul ne sait vraiment si cette mesure survivra à l'automne, d'autant que les députés semblent trainer les pieds. C'est une mesure qui risque de coûter très cher à mettre en place (système de télédétection, service de gestion, probablement subventions à l'équipement pour les transporteurs), pour un résultat financier pas si assuré que ça, surtout que dans un premier temps la taxe devrait être faible pour ne pas trop peser sur un secteur économiquement plutôt mal en point. D'ailleurs, dans le domaine, même si le contexte est très différent, le péage londonien a bien montré que les recettes pouvaient être sensiblement inférieures aux attentes.

          Mais tel n'est pas le sujet de mon article. Certains voudraient en effet que cette écotaxe soit modulable selon les régions. Un exemple avec la Bretagne. Les régionalistes bretons ont ouvert le feu, parallèlement à l'exécutif de la région Bretagne[ii]. L'écotaxe ne passera pas en Bretagne ! On peut lister et commenter les arguments de la deuxième contribution au débat[iii] :

_La Bretagne (sortez les violons) est un territoire au fin fond de l'Europe, coupé du monde civilisé et des grandes infrastructures de transport alternatives au routier.

Le communiqué n'a pas peur du ridicule : « le fret routier n'a pas d'alternative opérationnelle mis à part les lignes de ferries gérées par la Brittany Ferries entre la Bretagne, le sud de la Grande Bretagne, l'Irlande et le nord de l'Espagne ». Et bien c'est déjà pas mal, peu de régions font mieux. Surtout quand on sait que le grand port de Nantes (qui se proclame lui-même souvent « breton »)  est juste à côté. Pour le ferroviaire, la situation est certes moins claire, notamment pour le wagon isolé dont on a déjà beaucoup parlé sur ce blog. Des efforts sont faits toutefois pour revitaliser le ferroviaire (voir à ce sujet un article intéressant de Transport Expertise).

Mais globalement, les bretons ne sont aujourd'hui plus à plaindre au niveau des infrastructures, par rapport à la plupart des régions françaises.

_ La Bretagne est injustement plus pénalisée que le reste de la France, car elle ne dispose pas d'autoroutes payantes, donc les transporteurs « ne pourraient échapper à l'écotaxe » en allant sur l'autoroute

A cela, on répliquera d'une part que la Bretagne a justement été longtemps favorisée, par son réseau de transport routier à grande vitesse[iv] (on ne roule qu'à 110, mais bien sûr ça ne gêne pas les camions) « gratuit » (on paye cependant  toujours la TIPP, soit de l'ordre de 15-20 c€km pour un transporteur routier), d'autre part que la logique du passage de la voie rapide à  l'autoroute à péage pour éviter  l'écotaxe ne semble pas évidente…

 

_ La Bretagne va payer plus d'écotaxe que la moyenne des régions françaises, deux fois plus rapporté à sa population.

L'argument semble de poids. Et pourtant, ce point découle directement du point précédent[v]. Il n'y a que des « autoroutes » gratuites en Bretagne, donc la taxation va logiquement plus concerner les transporteurs bretons que les transporteurs d'autres régions qui payent depuis des années des péages sur les autoroutes payantes. A priori, rien d'anormal.

 

 

           Sur le fond, est-il juste de faire moins contribuer certaines régions isolées, ou « défavorisées » ? C'est une piste issue du Grenelle. Sans connaitre le fond du dossier, ni les études ayant été faites sur le sujet, je ne peux m'empêcher d'exprimer mes réserves a priori  sur le principe. En essayant de corriger des inégalités territoriales, on risque d'en provoquer autant. Car d'une part ces questions sont très difficiles à évaluer objectivement, et d'autre part les territoires administratifs ne correspondent pas forcément aux territoires économiques.  On risque aussi de complexifier ce qui s'annonce déjà comme une usine à gaz, et atténuer la symbolique très forte de cette nouvelle taxation environnementale. Enfin, on ouvre la porte aux revendications  locales  en matière de taxation, porte qu'on risque de ne jamais pouvoir refermer. Tout le monde a une bonne raison de payer moins d'impôt que le voisin…



[i] Ayant des amis bretons à l'identité bien affirmée, je tiens à préciser que cet incipit est humoristique…

[ii] Loin de moi l'idée de juger ces politiques. En défendant ceux qu'ils représentent, ils font leur boulot.

[iii] En laissant de côté les arguments « nationaux » classiques du style : l'Etat est hypocrite et ne cherche qu'à faire rentrer de l'argent dans les caisses…

[iv] Construites à une époque où les collectivités locales ne contribuaient pas, comme aujourd'hui, au financement de telles infrastructures

[v] J'ai enfin compris l'argument de l'inégalité géographique de Patrice Salini (voir le premier article en lien)



13/10/2008
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