La bête financière

On en sait aujourd'hui un peu plus sur le projet CAREX (voir article précédent). En ces temps de pétrole cher, de prise de conscience de la nécessité de changer nos comportements, le projet arrive au bon moment. A tel point que toute critique semble politiquement inconcevable. En Belgique et à Lyon, le projet a obtenu de nouveaux soutiens très récemment.

Et pourtant, certains aspects du projet me semblent toujours aussi improbables. Dans un contexte de crise financière et déficit budgétaire aggravé, je ne parierai pas dessus.  Mais pour l'instant le train avance à toute vitesse vers l'accident, dans l'euphorie générale, comme à la fin du roman de Zola…

 

Analysons un des derniers articles de la railway gazette, qui reprend la communication de l'association EuroCarex. On y apprend qu'un type de caisse (qui transporteront chacune 4 palettes aérienne)  a les faveurs du groupement, que de nouveaux développements vers Madrid, Milan ou Berlin sont projetés…

                   Mais l'essentiel est ailleurs à mon avis. Et il faut quand même accorder une chose aux promoteurs d'Eurocarex : la franchise avec laquelle ils donnent les chiffres de leur bussiness plan. Et si l'article de la RG se garde bien d'émettre le moindre avis négatif, les chiffres gênants sont placés opportunément à proximité les uns des autres, le lecteur n'ayant plus qu'à faire les multiplications (et encore, il me manque la culture technique ferroviaire pour tout voir, je pense). Voilà le résultat de mes petits calculs :

_ Le projet au total (enfin, le total en comptant seulement les installations ferroviaires de Roissy…)  devrait couter 1 milliards d'euros (à comparer contre « seulement » 250 millions d'euros pour le hub de Fedex à Paris), dont 625 millions pour les 8 premières rames (rames que, au contraire des infrastructures terminales, l'on aura bien du mal légalement à faire financer par les pouvoirs publics). Et encore, sur un projet innovant de ce genre il faut s'attendre à des surcoûts.

 C'est énorme ! Là-dessus les pouvoirs publics sont sensés payer 150 millions d'euros (la moitié du coût des infrastructures)

_ Ramené à l'année, cela fait 60 millions d'euros de frais de fonctionnement (dont 38 millions rien que pour les sillons), et 40 millions d'euros de remboursements des investissements (ils ont plutôt un banquier sympa apparemment)

_ Or le projet prévoit 270 000 mouvements de palettes aériennes par an (c'est des palettes de grosses dimensions, 2.4x2.4x3.2m, comme un conteneur aérien), pour un prix de 370 à 400€ par trajets

_ Autrement dit le projet, si tout se passe bien, va récolter de 100 à 108 millions d'euros, et donc s'équilibrer de justesse.

Sauf que :

_ 400 € par trajet, ça me semble élevé, par rapport à un transporteur routier qui doit en théorie pouvoir  faire rentrer (je ne sais pas si en pratique c'est possible) 4 palettes aériennes dans sa semi (et un voyage Paris Lyon en semi, c'est plutôt 500€ que 1600…). En plus dans une semi, on peut faire rentrer 25 tonnes de marchandises, contre 16 tonnes au maximum par caisses (un  « wagon ») de TGV fret, et 11 tonnes en moyenne  sur le train (un train tire avec deux motrices 9 caisses, et a une limite de 100 tonnes de marchandises). Il est vrai que normalement en transport aérien, on transporte des marchandises le plus souvent légères, il me semble.

_ Pas du tout sûr que les transporteurs intéressés utilisent ce service à 100% de leur flux concernés. Faire transporter ses caisses par le train, c'est très lourd comme contrainte (notamment au niveau des horaires de départ), et même si l'opérateur est volontaire, tous ses flux ne pourront se plier à ses contraintes (le camion, lui, part quand il veut)

_A vue de nez, dépenser  63% des frais de fonctionnement dans les sillons, et rembourser 40 millions d'euros par an pour un milliards d'euros (même si toute cette somme ne sera pas empruntée) semble un peu irréaliste budgétairement. Certains frais ont ils été oubliés ?

 

 

D'ailleurs, lorsqu'on on interview (je l'avais fait pour un travail scolaire)  les acteurs (enfin, ceux qui ne sont pas en représentation) qui devraient utiliser ce service (principalement les expressistes et la Poste), on comprend assez vite que ces acteurs ne croient pas dans ce projet. Et quand on voit que ceux-ci n'ont même pas réussi à s'entendre sur l'emplacement de la gare de Roissy, et que donc le projet prévoit 2 (si ! une pour la Poste, et une pour Fedex)  gares TGV fret, qui nécessitent chacune leur installation terminale embranchée, on se doute bien que leur volonté réelle de faire aboutir les choses est limitée. Car tant qu'il ne s'agit que de financer des études (et encore, c'est surtout RFF et les collectivités locales qui ont engagé de  gros moyens pour l'instant) tout le monde est pour. Quand il s'agira de trouver 1 milliard d'euros (au moins, quelqu'un qui veut promouvoir un projet ne surestime en général pas les investissements nécessaires…) pour un service qui va très probablement perdre structurellement de l'argent, ce sera une autre paire de manche…

 



29/09/2008
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