Le camion, ce mal aimé

Haro sur le transport routier ! Une analyse de Jean-Louis Andreani dans le monde, est l'occasion de revenir sur la vision du transport routier par la société.  Une vision très négative, souvent juste, mais parfois aussi à nuancer. Quelques éléments de débats.

 

Dans ce texte[i] , l'auteur  part du constat de la part prédominante du camion dans le transport de marchandises (notamment à partir des réflexions allemandes du masterplan), et de la probable congestion généralisé qu'elle ne devrait pas manquer de générer. Autres nuisances, l'insécurité routière, les émissions de CO2…

Face à ce constat, l'auteur déplore le manque de la volonté des pouvoirs publics pour promouvoir le rail, par exemple, déplore l'échec des autoroutes de la mer [ii], et l'absence de valorisation des externalités du transport routier.

Pour revenir à une situation plus équilibré, l'auteur se fait l'avocat notamment d'infrastructures séparées pour les camions, d'une logistique industrielle moins consommatrice de transport et d'une réglementation plus sévère, notamment sur les vitesses maximum.

Cet article est bien écrit et sans erreur, mais à peu de chose près aurait pu être écrit il y a 20 ans, et le sera écrit probablement dans 20 ans encore. Comme le prouve entre autre les commentaires sur le site du grand quotidien national, ce type de point de vue est très populaire. Peut-on aller plus loin ? Réponse par point.

 

 

La prédominance du transport routier est elle le fruit d'un manque de volonté politique ?

De Fitterman à Bussereau, tous les ministres de transport  ont voulu favoriser le rail (entre autre) depuis 30 ans. Et pourtant le rail perd du terrain. Tous les gouvernements sont ils mauvais ?  Il y a certes peut-être un certain manque de financement, mais il existe des vrais raisons logiques (liste loin d'être exhaustive) au déclin du rail depuis 35 ans : moins de marchandises pondéreuses transportées en vrac (notamment à cause du nucléaire, du déclin de la sidérurgie et de son déplacement vers la mer, de la fermeture des mines de charbon…), spécialisation des usines et complexification des flux logistiques, politiques de limitation du stock, ces deux derniers facteurs induisant une  baisse de la taille et une hausse de la fréquence des envois.

Ces facteurs comptent beaucoup plus que les subventions gouvernementales. Le train c'est intéressant si on a beaucoup de marchandises qui partent du même endroit, qui vont au même lieu, dans le même temps. L'idéal étant de faire du train entier (avoir assez de marchandise pour remplir un train, le wagon isolé étant problématique). Mais c'est de moins en moins souvent le cas dans les circuits logistiques actuels, même si il y a des contre-exemples (voir article précédent).

Ici, on peut douter que de simples mesures réglementaires (du genre réduire la vitesse maximale sur autoroute) génèrent du report modal. Si c'était vrai, depuis 30 ans, on le saurait… La vitesse maximale autorisée des expressistes est passée de 110 à 90 kmh ces dernières années, les opérateurs se sont juste réadaptés (la journée de travail commence plus tôt), cela n'a pas occasionné de report vers les modes alternatifs (il est vrai qu'ils répondent peu aux besoins de l'express).

 

Le transport routier pait-il ses coûts ?

Le transport routier pait la TIPP sur les carburants (mais pas la TVA, ce qui est logique), plus quelques autres taxes (notamment la taxe à l'essieu). Il pait également des péages d'autoroutes nettement plus importants que les voitures. Mais un camion abime infiniment plus la route qu'une voiture, et génère aussi plus de bruit (au niveau de la pollution et du CO2, c'est proportionnel au carburant, donc on peut penser que c'est pris en compte par la TIPP).  Au final, le transport routier pait il proportionnellement à ses coûts ? Par rapport à une voiture, pas forcément, il y a peut-être effectivement des « subventions croisés ». Mais les autres modes de transport de marchandise sont également très loin de payer tous leurs coûts, notamment le coût des infrastructures (le péage de RFF pour les trains de fret est notoirement bas, alors qu'eux aussi abiment souvent plus l'infrastructure !). Sur une autoroute concédée, le camion paye pour l'infrastructure par le péage, et paye pour les nuisances sociales par la TIPP. Dans ce cas, le bilan doit être positif. Dans le cas d'un transport en ville, c'est beaucoup moins vrai.

 

Quelle responsabilité du transport routier dans l'insécurité routière ?

Bien sur, le transport routier induit des risques spécifiques de sécurité routière (mais il doit y a avoir aussi un effet de ralentissement de la circulation générale, difficile à évaluer). JL Andreani donne un exemple d'accident spectaculaire, ce qui n'est guère convainquant. A ce sujet, on peut citer une étude de l'Union Européenne (lire la synthèse ; certes l'étude est en partenariat avec l'IRU, ce qui pourrait faire émerger des doutes quant à l'impartialité). On lit notamment que le conducteur routier n'est responsable que de 25% des accidents dus principalement à une erreur humaine (85% des accidents) concernant un camion. En général, les routiers conduisent bien (et respectent les limitations de vitesse, avec le disque, il est dur de tricher). L'alcool au volant chez eux est très minoritaire.

 

Va-t-on vers une congestion routière généralisée ?

En France, la réponse est sans doute non, sauf sur certains axes. Dans notre pays (à la différence de l'Allemagne), il y a une densité de population plutôt faible, et une densité plutôt importante d'infrastructures routières. On a tous en tête les bouchons du 15 aout, mais les camions ne roulent pas à ces dates de départs en vacance… En temps normal certains axes sont effectivement proches de la saturation : A1, A7, contournement de Lyon, région parisienne... Pour la région parisienne, il n'y a pas grand-chose à faire. Transport combiné ou pas, il y aura toujours des camions pour le trajet terminal (voir plus, vu que les chantiers de transport combiné sont souvent plus proches de Paris que les centres logistiques et les industries). Pour l'A7, il faut noter qu'il existe des itinéraires alternatifs, notamment l'A75 pour le Languedoc et l'Espagne. Aujourd'hui elle est très peu empruntée par les camions, car l'accumulation de montés et de descentes use le matériel (les freins, les pneus) et n'est pas sans danger pour le transporteur (selon certains, il y a aussi un effet « d'habitude » pour les routiers qui ont leur aire d'autoroute préférée sur l'autoroute du soleil…) . Mais au fond, cette solution existe, et commencera à être utilisée quand la situation sur l'A7 deviendra intenable.

Reste que, passées ces réserves, effectivement le transport combiné risque de se révéler indispensable pour traiter ces points de congestion dans la mesure du possible (pas grand-chose à faire pour le trafic local, souvent prédominant). Mais cela ne va révolutionner les choses en terme de part modale. Et les infrastructures ferroviaires n'ont pas forcément beaucoup de capacités en réserve non plus (notamment concernant l'île de France, ou la région lyonnaise).

 

Et des infrastructures séparées ?

J'avais mentionné cette revendication dans un article précédent. Il pourrait s'agir d'un doublement de l'A7 ou de l'A1, réservé au camion (mais ça me semble assez incompatible avec le fait qu'on veut limiter le nombre de camions !). Pas forcément réaliste, vu l'énorme opposition qu'il faudra s'attendre des riverains.

 

La hausse du prix des transports va-t-elle modifier les circuits logistiques ?

Sans doute oui, pour les marchandises où le coût de transport représente une part sensible dans le coût final. Mais en matière de localisation des usines et des entrepôts, l'inertie est très importante, vu l'importance des investissements en jeu, et leur durée d'amortissement.

 

Quelle est la solution alors ?

La technique, l'innovation, le financement des infrastructures de transport alternatives, la réglementation évidemment. J'essai d'en rendre compte sur ce blog. Mais il ne faut pas en attendre des miracles.  Je me rappelle les mots d'un membre d'une organisation de suivi du transport routier, que j'avais trouvé un peu trop fataliste à l'époque, « Ce qui génère du transport routier,  c'est la surconsommation, tant qu'on a pas compris ça… ».

J'ai tendance à trouver la phrase de plus en plus juste, même si en décalage croissant avec les débats actuels sur le pouvoir d'achat…

 



[i] Disponible en copie sur ce blog, je n'aime pas les blogs « copier-coller », mais ça a son utilité vu que les archives du monde ne sont pas toujours pas consultables

[ii] En même temps, de nombreux projets n'ont pas encore été lancés, voir mon dernier article sur le programme Marco Polo. Il est un peu tôt pour parler d'échec, même si j'ai déjà mentionné les difficultés de toulon-citavecchia



19/08/2008
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