Le Royaume-Uni s'interroge sur ses transports de marchandises

Après l'Allemagne, un autre article sur les politiques de transport des pays européens, avec un très intéressant rapport parlementaire sur la politique de fret au Royaume-Uni. Là aussi, la perfide Albion a ses particularismes. Le moins étonnant n'étant pas celui d'avoir des députés qui font du bon boulot en plein été.

 

C'est un rapport du comité des transports (sans doute l'équivalent d'une commission en France, mais les commissions concernent en France  un nombre très réduit de sujet) du parlement anglais. 40 pages concises et claires, des sources abondamment citées (avec une certaine prédilection pour un certain professeur McKinnon), 220 pages d'annexes avec les entretiens, le tout disponible en format pdf. Un travail d'autant plus remarquable que c'est la 13 ème publication du comité en 2008. Au Royaume-Uni, les députés ne chôment pas (comme j'avais déjà pu le constater sur les biocarburants).

 

Ils ont beau être en majorité travailliste, les députés tiennent à préciser dès l'intervention : « There are, however, a limited number of circumstances in which the Government says it would normally consider intervening ». Non qu'en France les choses tendent à être très différentes, mais on ne le dirait pas comme ça. Ici les compétences de l'Etat sont d'entrée limitées à trois aspects :

_les cas où l'état a une responsabilité de financement des infrastructures

_les cas où il existe un besoin démontrable de planification stratégique du réseau à long terme

_enfin les cas où le marché n'arrive pas à internaliser les effets négatifs du transport.

C'est à la fois très réduit et immense ! Dans leur rapport, les députés tendent néanmoins à essayer de démontrer que le gouvernement devrait être plus actif.

 

   En matière de transport, l'évolution au Royaume-Uni a été relativement comparable aux autres pays d'Europe de l'ouest, avec une grosse augmentation du transport depuis 20 ans (+44% entre 1980 et 2006), qui a comme ailleurs surtout profité au transport routier (+79%, 66% de part  modale). Le ferroviaire, qui a beaucoup souffert dans les années 80, a connu une remonté spectaculaire depuis la libéralisation<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]--> : avec +70% de trafic depuis 1994, pour atteindre 22 milliards de tonnes kilomètre (c'est moins qu'en France mais les dimensions du pays sont nettement plus petites) et 9% de part de marché (comparable à la situation française), le ferroviaire britannique a bien remonté la pente (on pourrait objecter qu'il partait de loin). Mais la vraie originalité, c'est l'importance du cabotage maritime, qui, bien qu'en déclin, représente encore 21% des marchandises transportées. Ça c'est pour le transit « intérieur », car le gros du trafic de marchandise est effectué avec l'étranger (et là le maritime domine de façon écrasante, laissant juste 4% au tunnel sous la manche).

   Au Royaume-Uni, comme partout ailleurs, on cherche à promouvoir le report modal. Apparemment avec un certain succès, selon le comité, puisque 800 000 conteneurs ont été retirés des routes, conséquences de 33 contrats du Sustainable Distribution Fund, qui bénéficie d'environ 25 à 30 millions de £ de budget par an. Mais ici l'équation est complexifiée par l'importance du trafic maritime, qui n'a pas forcément bénéficié autant du programme. C'est d'ailleurs le grand enjeu du transport britannique : les conteneurs sont en majorité débarqués dans les grands ports du sud (qui ont les infrastructures adéquates, et qui imposent un détour minimum aux grands porte-conteneurs), qui seuls accueillent les services intercontinentaux des compagnies maritimes. Par exemple, la CMA CGM fait escale pour ses lignes Europe-Asie  à Felixtown, Southampton, Thames port et Tilbury (les deux derniers font partie du port de Londres), tous plus ou moins situé dans le sud est de l'île, pour décharger ses conteneurs. Conteneurs qu'il faut ensuite remonter en partie, notamment vers les grands centres industriels du nord, soit avec des petits portes conteneurs (les feeders), soit en train, soit en camion. Les connexions aux grands ports sont donc essentielles. Pour le vrac, c'est un peu pareil, même si Liverpool veut inverser la tendance et investir pour accueillir des navires post-panamax (de gros navires).

   L'action est portée également sur le financement des infrastructures avec le Transport Innovation Fund, axé (un peu à la manière du masterplan allemand) sur le renouvellement des réseaux ferroviaire, et sur l'implémentation de réseaux de gestion du trafic sur les autoroutes.

 

   Reste que le comité a du affronter un paradoxe. Si l'objectif affiché serait de faire payer au transport routier tous les coûts qu'il génère (l'internalisation des coûts externes), alors que ce n'est le cas aujourd'hui que dans une fourchette de 59 à 69% (d'après l'Institution of Civil Engineers), il se trouve que le routier anglais est déjà le plus taxé en Europe. En particulier sur les carburants : la Road Haulage Association estime que chaque camion paye entre 10 000 et 15 000 £ de plus par an. Celai dégrade bien évidemment la productivité des transporteurs (à ma connaissance, le Royaume-Uni est le seul pays où le pavillon français est majoritairement implanté sur les échanges bilatéraux !). D'où l'idée de taxer non plus le carburant, mais le camion (selon son type, son poids, sa classe d'émission, son kilométrage, ect…) à l'aide d'un système GPS (un peu à l'instar de ce qui se fait en Allemagne avec la lkw Maut). Mais ça n'a pas vraiment enchanté les routiers anglais, qui « devraient » en bénéficier (une nouvelle taxe, et complexe en plus…). Le projet est pour l'instant abandonné.

Autre solution reportée, l'autorisation des écocombis (voir un de mes premiers articles), pour des raisons principalement de concurrence de rail (apparemment les opérateurs ferroviaires ont été loin dans la dramatisation, prévoyant des pertes de marchés de plus de 50% sur certains trafics).

Quant à la plus grande sévérité par rapport aux infractions à la réglementation commise par les transporteurs routiers étrangers, elle semble patiner un peu. Les routiers britanniques ont été apparemment satisfaits de la peinture de la situation.

 

   Bref, si le rapport n'apporte pas de solution miracle, il fournit beaucoup d'éclairages. Et mon compte rendu, bien que trop long, est assez incomplet, il y a aussi des choses intéressantes sur les marchandises en ville notamment. Sans langue de bois, le rapport s'achève sur une volée de bois vert sur le gouvernement (pourtant de la même majorité) : « The Government's attitude to freight transport is characterised by an apparent recognition of the issues but an unwillingness or an inability to address them. » Tirez les premiers, messieurs les députés anglais…

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<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]--> A noter cependant que le retour de l'investissement public pour renouveler un réseau à l'abandon depuis 30 ans, et la renationalisation partielle de la gestion du réseau,  ont également beaucoup aidé



24/07/2008
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