Opération "Overlord" pour les compagnies maritimes

La bataille entre les principales compagnies maritimes (qui ne sont pas forcément à couteaux tirés, diront certains) se joue aussi sur le plancher des vaches. Les grands armateurs mondiaux ont ainsi de plus en plus tendance à débarquer à terre pour s'occuper de leurs précieux conteneurs. Et c'est bénéfique pour l'intermodalité !

 

 

C'est la doctrine du « carrier haulage » (c'est la compagnie maritime qui supervise le transport à terre des conteneurs), par opposition au « merchant haulage » (c'est le chargeur, ici le destinataire, qui vient chercher son conteneur au port). Depuis quelques années la plupart des grandes compagnies de conteneurs s'y sont mis, pour deux raisons.

La première, c'est que la plupart des conteneurs en circulation appartiennent aux compagnies maritimes, qui les confient cependant à regret aux chargeurs à un moment ou à un autre (il faut bien lui laisser décharger sa marchandise). Cependant, un conteneur, quand il ne voyage pas sur un navire, c'est du capital inutilisé, du point de vue de la compagnie maritime. D'où la nécessité d'imposer une rotation rapide des conteneurs, pour améliorer la rentabilité. De plus, il est gênant pour une compagnie de perdre la trace de ses conteneurs et de ne pas savoir quand ceux ci lui seront rendus.

 La seconde, c'est la tendance à la saturation des ports, accueillant toujours plus de porte-conteneurs, qui déchargent toujours plus vite (même principe, un navire qui attend au port, c'est du capital improductif), toujours plus de conteneurs. Or les grands ports ne sont pas indéfiniment extensibles (en général, ils sont proches à la fois de grandes agglomérations et de zones naturelles). Certes, on trouve toujours la place de construire de nouveaux portiques (quitte à gagner de la place sur la mer comme pour Maasvlakte 2 à Rotterdam) Mais cela pose alors la question du stockage des conteneurs sur le port (et quand les conteneurs sont remplis, on ne les stocke pas sur 7 ou 8 hauteurs, mais sur deux seulement !), et de l'évacuation des conteneurs. Et là, les choses risquent de coincer, au sens propre, si on n'utilise que des camions, d'autant que les chargeurs ont pu prendre l'habitude d'utiliser les ports comme un lieu de stockage temporaire. Déjà la situation est difficile à Rotterdam, premier port européen, qui fait pourtant office de bon élève en matière d'utilisation des modes de transport terrestre alternatifs au routier. Selon l'Officiel des Transporteurs (7/09/2007) « Les temps d'attentes sont tels que les transporteurs de conteneurs voient déserter leurs conducteurs ».

 

Confronté à ces deux problématiques, les compagnies maritimes ne restent pas les bras croisés, et c'est une très bonne nouvelle. Depuis quelques années, elles investissent massivement dans les modes de transport terrestre massifiés, alternatifs au mode routier, profitant de la libéralisation du transport.

Il y a les compagnies ferroviaires : on peut citer Rail Link, filiale commune de Véolia et de la CMA-CGM, centrée sur Manheim, mais aussi ERS, basée à Rotterdam, et propriété de Maersk, qui commence à avoir un vrai réseau au centre de l'Europe (voir carte). Pour l'instant ERS s'arrête à la frontière (mais vraiment à la frontière) belge, sans doute par absence de certification pour la France (de toute façon, la croissance interne d'une compagnie ferroviaire est nécessairement lente, vu le temps de former les conducteurs, et les investissements nécessaires).

Il y a également les compagnies fluviales : sur la Seine, on citera RSC (River Shuttle Container), une filiale de la CMA-CGM, MSC, et Maersk Line. Bref les trois plus grandes compagnies maritimes mondiales. En général elles jouent seulement un rôle de commissionnaire de transport, déléguant le transport en lui même aux compagnies fluviales (souvent elles-mêmes un simple regroupement d'entrepreneurs individuels, le secteur étant encore assez artisanal).

 

Mais ce qui est intéressant à noter, c'est que les deux modes collaborent. Ainsi la compagnie RSC propose une navette quotidienne au client, grâce à l'utilisation du train (sans doute Rail Link), les jours où aucune barge n'est disponible (et 3 barges ce n'est pas suffisant pour assurer un départ quotidien dans les deux sens). Egalement, les compagnies maritimes ont investi dans des terminaux multi-modaux. Ainsi, une filiale de la CMA-CGM gère depuis 2007 le terminal tri-modal de Bonneuil (est de Paris). Et Maersk vient juste d'annoncer qu'il investissait dans un nouveau terminal à Neuss (près de Duisbourg). Le projet est pour l'instant modeste, 5 hectares (il pourrait s'agrandir à 8 hectares) et une capacité de 50-60 000 EVP (200 000 en prévision si l'agrandissement se concrétise). A titre de comparaison, le terminal DELTA 3 à Dourges (près de Lille), souvent cité en France, revendique 100 000 EVP/an et une capacité maximale de 200 000.

A ce sujet, le port de Rotterdam précise les avantages, du point de vue de l'intermodalité (et donc de l'environnement), du « carrier haulage » : lorsque la compagnie maritime prend en charge le conteneur à terre, les modes fluviaux et ferroviaires sont beaucoup plus utilisés que lorsque c'est le chargeur qui s'occupe du transport. Au départ de Rotterdam, 75% des transports de conteneurs sont effectués par fleuve ou par rail dans le premier cas (avec 42% de fluvial au total), et seulement 35% dans le second cas (par contre, là c'est le ferroviaire qui est le plus utilisé, avec 27% du total). La différence est impressionnante, même si elle peut sans doute être nuancée (le port de Rotterdam indique que « Many (smaller) shippers are located relatively close to the port and therefore use trucks »). Elle se justifie par la fait qu'un gros transporteur peut par nature plus facilement utiliser des modes massifiés (dont il assure le remplissage presque à lui tout seul).

 

 

Le report modal (enfin, dans le cas particulier des conteneurs) devrait donc progresser, par simple calcul économique, et c'est une bonne nouvelle. Ces lignes régulières créees un peu partout pourraient aussi être utilisées par d'autres utilisateurs (transport de caisses mobiles). Reste à savoir si l'infrastructure ferroviaire et fluviale pourra partout absorber la hausse continue du trafic maritime…



20/03/2008
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