Intermodalité


Programme Marco Polo : la liste des 23 publiée

Le programme Marco Polo est à la pointe de l'attaque de la politique européenne en faveur des modes alternatifs. Destiné à favoriser le report modal, notamment pour traiter les goulots d'étranglements routiers pour les liaisons internationales, il est à sa deuxième phase et à son 6ème appel à projet. Et les heureux gagnants du 5ème viennent d'être dévoilés.


Le principe est de financer des projets de nouveaux services (il ne s'agit pas ici de financer les infrastructures). Mais les sommes restent mesurées (2 millions d'euros en moyenne par projet, ce qui est tout de même nettement plus que pour les premières éditions). Ce financement a pu être critiqué (voir article précédent), et le service de l'Union européenne qui gère le programme a reconnu pendant la conférence de Vienne (en juin dernier) qu'il y avait un problème : alors que le programme dispose de plus en plus d'argent, il y a de moins en moins de candidats[1] ! La faute, peut-être, à un processus de sélection extrêmement rigoureux (voir ce diaporama clair et précis qui détaille les exigences), qui doit imposer d'y consacrer beaucoup de temps par un personnel très qualifié (ce qui représente donc de l'argent, voire une désorganisation pour les petites entreprises) pour une espérance de gain relativement modérée (enfin cette année, le financement monte jusqu'à 6 millions d'euros pour un projet).

La liste des 23 projets sélectionnés est donc très intéressante, pas forcément  pour l'argent distribué qui ne sera pas toujours déterminant pour décider si oui ou non on fait le projet, mais pour la qualité du processus de sélection.  A ce propos, mon esprit de blogueur quelque peu pervers est un peu déçu qu'il n'y ait pas de liste des candidats pour les différentes sessions, pour justement voir quels projets n'ont pas été choisis. Avoir la critique en plus de la commission, ce serait extraordinaire, mais ne rêvons pas.

 

Les 23 donc. On retrouve des projets d'autoroute de la mer, qui ont la particularité pour beaucoup d'éviter la France. Une bonne ou une mauvaise nouvelle, selon le point de vue. Certes, cela devrait enlever des camions des routes françaises, mais cela devrait enlever de l'activité aux ports français (et également des recettes fiscales). Les projets retenus sont :

_Un nouveau service de rotation entre Santander (Espagne) et Poole (Royaume-Uni). Aujourd'hui les camions tendance à remonter par la route l'ouest de la France, et de prendre le ferry sur un port du nord de l'atlantique (Cherbourg par exemple) pour une traversée courte (c'est souvent plus simple pour la gestion du chauffeur). A noter que des  services concurrents (mais non similaires) existent déjà entre l'Espagne et l'Angleterre[2], ce qui a pourrait créer la polémique sur une éventuelle distorsion de concurrence.

_Un service régulier entre Civitavechia et Barcelone, à un moment où la liaison entre Marseille et Civitavechia ne marche pas très bien (voir article précédent).

_La même chose entre Livourne et Barcelone

-Enfin un projet de liaison maritime entre Zeebrugge (Belgique) et Bilbao (Espagne). C'est le premier en terme de subvention. C'est peut-être là que les français pourront avoir le plus de regrets. D'une part les ports rouliers français de nord (Calais, Boulogne, Dunkerque) étaient de bons candidats, d'autre part, on aurait pu imaginer un arrêt à mi parcours à Cherbourg (qui impose un détour minimal).

 

On retrouve également beaucoup de liaisons ferroviaires au long cours, notamment vers les pays de l'est. A ce sujet, j'ai noté une autoroute ferroviaire entre Bucarest et Regensbourg, un service combiné rail-mer Slovénie-Zeebrugge-Angleterre, un service ferroviaire entre Gand (Belgique) et Istanbul, le programme seeis de transport combiné dans les Balkans, que j'ai déjà mentionné, un projet de liaison ferroviaire entre Zeebrugge et Melnik en république tchèque... Le second projet qui a le plus récolté d'argent (plus de 5 millions d'euros) concerne encore l'est, c'est le projet OCRA destiné à « overcome the structural market barrier » (honnêtement, je suis sur de comprendre ce que ça veut dire) entre Trieste et Prague. On trouve également plusieurs projets visant à favoriser le report modal sur la Baltique, et sur le Danube, ou encore un projet de short sea shipping en reefer entre Bilbao, Rotterdam et l'Angleterre…


Mais où sont les bleus ? Que les pays de l'est, jeunes nouveaux membres, reçoivent plus d'attentions que les autres, c'est normal,  ils sont en pleine croissance. Mais on a l'impression que les belges ont plus de succès que nous auprès de la commission européenne (c'est peut-être normal, ils jouent à domicile…). Pour la France, est financé un projet de liaison de la CMA CGM (à travers sa filiale ferroviaire, Rail Link) du port du Havre à … Zeebrugge ! Le port belge, qui connait une bonne progression ces dernières années (mais qui reste encore nettement derrière Le Havre), et qui a pu bénéficier ces derniers mois des grèves « perlées » de certaines catégories de personnels portuaires en guerre contre la réforme des ports autonomes français,  voit donc sa position européenne se renforcer encore plus, avec donc  4 nouveaux projets de liaisons longue distance.

Cependant, une deuxième ligne de Rail Link est financée du Havre jusqu'à Mannheim[3], en passant par Dourges (une plateforme trimodale du nord de la France). De façon peut-être plus anecdotique, un projet de transport de bouteille d'eau en bouteille (de Danone)  par le rail (de Riom en France à Hockenheim en Allemagne) a été financé. C'est Fret SNCF qui effectuera le transport, apparemment de bout en bout, en collaboration avec  un partenaire logistique allemand, ltg-logistik, sans doute pour le stockage et la distribution finale.


Bref, les français ont il du mal avec Marco Polo ? Pas vraiment, en 2006, sur 15 projets, on comptait 2 millions d'euros pour l'autoroute ferroviaire de Modalhor (voir article précédent), et deux projets concernant le port de Marseille (un projet de Rail Link vers l'Allemagne, qui marche, et le projet Southern Europe Green Link, qui apparemment n'a pas encore démarré[4]).  De plus, les projets de transport ne passent pas tous par Marco Polo.   

Mais assurément le déplacement vers l'est du centre de gravité n'est pas forcément favorable au monde du transport français. D'autant que dans le grand match international qui a commencé, nos proches concurrents tendent à avoir un ou deux buts d'avance à la mi-temps…



[1] Alors qu'en plus le projet concerne maintenant les pays de l'est

[2] P&O opère entre Bilbao et Portsmouth, et Brittany Ferry (qui va toutefois opérer la nouvelle liaison)  entre Santander et Plymouth.

[3] Pan sur le bec, Mannheim, c'est pas très loin en dessous de Duisbourg, je dis des bêtises de temps en temps

 
[4] On ne trouve d'ailleurs absolument rien sur le projet sur Internet, et rien non plus sur la société (sologaz-cga  intermodal) censée le mettre en œuvre. Un projet furtif…


07/08/2008
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L'Eden du transport combiné est à l'est

Début juin avait lieu l'assemblé annuel, et le congrès « pour une logistique plus verte » de l'UIRR, l'organisation rassemblant les acteurs européens du transport combiné (transporter les marchandises de l'expéditeur au client final, en effectuant seulement les premiers et derniers kilomètre en camion). C'est tombé en période de vache maigre pour ce blog, mais il n'est jamais trop tard pour bien faire. En résumé, de bonnes nouvelles, et un transport combiné qui regarde de plus en plus vers le soleil levant.

 

On commence tout de suite par les statistiques bêtes et méchantes. Après une énorme année 2006, qui a vu près de 15% d'augmentation, les membres de l'UIRR se sont contentés d'un « petit » +9% du trafic en 2007. En France, Naviland Cargo remonte la pente (+20%), après tout de même une sacrée dégringolade entre 2003 (230 000 boîtes) et 2006 (moins de 100 000 !). En Europe, sur une plus longue période, entre 2003 et 2007, si le trafic international a bien augmenté (+42%), le trafic national, lui a crû plus modestement (+16%). Le transport de  « boîte », caisse mobile ou conteneur, tend à devenir hégémonique, même si localement le transport de camions (entier, avec les chauffeurs, ou juste la semi remorque) reste important (notamment pour les traversés alpines). D'ailleurs, au niveau environnemental, le transport du camion entier n'est pas très payant en général (seulement 23% de gain en émissions de CO2 par rapport à la route, contre 60% pour le transport de la caisse seule, moins lourde, voir présentation slide 7), selon l'UIRR (ces pourcentages doivent dépendre beaucoup de l'échantillon de ligne étudié).

Côté qualité de service (voir article précédent), par contre ça ne s'arrange pas vraiment, avec encore 27% des trains qui ont plus de 3h de retard et 8% plus d'un jour de retard. Le rapport de l'UIRR indique que cela est gênant pour les marchandises très sensibles au facteur temps. Mais cela l'est souvent plus pour les organisations des opérateurs s'occupant de la partie routière (un train en retard, ça met tout le planning de la journée sens dessus-dessous), et derrière, pour les opérateurs logistiques qui vont réceptionner les marchandises, et qui ont tendance à donner des heures de rendez vous de plus en précise, pour optimiser la productivité de leur organisation. Train ou pas train, le chauffeur routier et le cariste sont là, il faut les payer…

 

Ceci dit, on peut discuter les chiffres de l'UIRR, vu que cette organisation ne rassemble qu'une partie des opérateurs européens. En France, seul Novatrans, Naviland Cargo, et Eurotunnel (et encore, il n'est que "membre associé", le tunnel sous la manche est sans doute trop récent), les « historiques », en sont membres, et non les opérateurs plus récents (Rail Link, la joint venture entre Véolia et la CMA ; T3M, issue de TAB…).

 Il y a donc une vraie incohérence à se féliciter de la concurrence entre tractionnaires ferroviaires, à dresser des parallèles entre libéralisation et progression du fret ferroviaire à donner des cauchemars à  un cégétiste tendance canal historique (voir le tableau de cette présentation slide 8) et à rester entre vieux de la vieille, volontairement ou non. Car le monde du transport bouge, et, en plus de la libéralisation, un autre phénomène marquant apparaît, l'essor des pays de l'est.

 

J'avais déjà abordé le sujet dans un post précédent sur le routier. Mais en matière de transport combiné aussi, les ex-membres du glacis soviétique progressent à toute allure. Il suffit de voir les nouveaux projets de l'IURR, tous portés vers l'est (et plus particulièrement vers le sud de l'Europe). Projet CREAM de liaison RotterdamAnvers-Istanbul, PROJET SEIS et SINGER de hub slovène de transport combiné…La Slovénie[1], qui accueillait le congrès, est au centre de ces projets, du fait de sa position stratégique de porte de l'est sur l'Adriatique. A cause de la situation socio-politique et géographique de l'ex-Yougolavie[2], l'Istrie[3] est en effet un peu la seule alternative aux ports du nord de l'Europe, pour desservir l'Europe centrale (aujourd'hui, par exemple, c'est Anvers le premier port de l'Autriche), en bénéficiant d'un trajet maritime comme terrestre plus court. D'où l'essor du port de Koper. Bien évidemment, derrière tout ça, on trouve toujours en bonne place la Deutsche Bahn (voir la règle du jeu). Et il n'y a qu'à voir la carte des flux européens (slide 6) pour se convaincre que Kombiverkehr (possédé à moitié par la DB) est le numéro 1 européen. Mais d'autres opérateurs montent : ainsi les suisses Bertschi et Hupac (les deux vont jusqu'en Russie ! Décidément petits mais costauds, les Suisses), ou encore Polzug (des allemands, contrairement à ce que le nom pourrait laisser penser).

 

Bref, une embellie dont on espère qu'elle profitera à la France sur le long terme. L'UIRR espère voir le trafic de transport combiné plus que doubler d'ici 2015, ce qui est plutôt ambitieux, vu les problèmes de capacité prévus (notamment en France sur la vallée du Rhône, et aussi de façon un peu plus inattendu sur l'axe Metz-Dijon). C'est pourquoi, avec le programme DIOMIS, l'UIRR entend faire pression sur les politiques, en faveur de travaux de désengorgement. Mais cela portera t-il jusqu'aux opposants, par exemple, au contournement fret de Lyon ? Rien n'est moins sûr.



[1] Même si elle ne faisait pas partie du pacte de Varsovie

[2] La Bosnie est remplie de dissensions « ethniques », de mines et de zones montagneuses, la Croatie a une forme géographique très particulière, les serbes boudent dans leur coin, et on ne parlera pas des albanais...

[3] Il faut citer également les voisins :le port croate de Rijeka, et le port italien de Trieste


16/07/2008
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Duisbourg, le port à qui il ne manque que la mer.

Au cœur de la mythique "banane bleue", au centre du premier centre industriel de l'Allemagne, au confluent du Rhin et de la Rhur, le port de Duisbourg cumule les atouts. Il a su en profiter, au point de constituer un modèle européen pour les plates-formes trimodales (fluvial, routier, ferroviaire). D'ailleurs, la société de logistique  Imperial vient juste d'annoncer l'implantation d'un nouveau terminal. L'occasion d'une petite revue de presse.


Duisbourg fait partie intégrante de la stratégie des compagnies maritimes, qui privilégient de plus en plus le carrier haulage pour transporter leurs conteneurs sur la terre ferme (voir article précédent). Après Maersk à Düsseldorf (juste 30 kilomètre à côté), c'est le français CMA-CGM, en collaboration avec le japonais NYK, qui investit dans un terminal à Duisbourg. Il bénéficie également du tissu industriel et urbain avoisinant, ainsi que d'excellentes (enfin, du moins selon les standards français ; et comme ailleurs, les projets de nouvelles infrastructures se heurtent à des oppositions locales) liaisons  ferroviaires et fluviales avec les ports maritimes du Benelux et du nord de l'Allemagne.

Au final, les chiffres de Duisbourg, premier port fluvial européen (au monde ? ), sont comparables à ceux d'un grand port maritime européen : près de 100 millions de tonnes transportées (mais certains trafics sont comptés deux fois, j'ai l'impression), ce qui en ferait l'équivalent du premier port français en tonnage, Marseille. Et Marseille n'atteint ce seuil que grâce au très fort poids des hydrocarbures livrés à Fos. Egalement, on manutentionne 900 000 EVP[1], soit une petite moitié de ce que réalise le premier port français, Le Havre, mais avec une part impressionnante du ferroviaire, qui transporte un demi million d'EVP par an. C'est également 5 fois plus (mais la méthode de calcul est-t-elle la même ?) que le port de Paris, premier port français (21 millions de tonnes par an, en comptant tous les sites, voir article précédent).

C'est d'autant plus remarquable qu'une multitude de ports fluviaux se partage le trafic dans la zone. En l'espace de moins de 100 kilomètres, on peut relever, entre autre, le port de Düsseldorf-Neuss (10 millions de tonnes par an), le port de Cologne (plus de 500 000 manutentions de conteneurs), d'Essen, de Bonn... Ces ports collaborent entre eux (au moins dans les discours, mais c'est déjà un signe, quand on compare avec les ports de la Seine, notamment par rapport à au canal Seine-Nord).


Collaborer avec nos voisins d'outre Rhin, se raccrocher à une économie allemande qui continue d'exporter à plein régime euro fort ou pas, et accroitre son hinterland, c'est bien ce qu'aimerait faire le port du Havre : « Des engagements ont été pris portant sur l'étude et la mise en place d'une liaison ferroviaire entre les terminaux à containers du Havre et la zone logistique de Duisbourg. Dans l'optique havraise, cette évolution doit répondre à la congestion dont souffrent des ports maritimes nord-européens, et s'inscrire dans la croissance des trafics containérisés, tandis que Duisbourg se profile comme option attractive pour les marchés allemand et est-européen. »

Même dans un journal aussi synthétique que le lloyd belge (sans doute le meilleur média d'information francophone gratuit sur le fret), on sent une légère ironie, sur l'optique un peu divergente des havrais, qui imaginent une liaison ferroviaire jusqu'à Duisbourg (bien plus proche du Benelux), alors qu'ils ont déjà du mal à desservir correctement la France en ferroviaire (la faute notamment à des installations ferroviaires peu adaptées, qui compliquent énormément la gestion des trains). Mais au niveau pratique, notamment pour l'organisation des terminaux et la prise en compte des modes massifiés, les français ont sans doute beaucoup à apprendre de Duisbourg… Port 2000, une incontestable réussite pour l'instant, souffre ainsi de la faiblesse de l'accès terrestre (voir l'absence dans le cas du fluvial[2]), ce qui pourrait à terme handicaper son développement.

[1] Equivalent Vingt Pied, unité de mesure des conteneurs

[2] Considéré comme un mode terrestre !




03/07/2008
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TLF et l'optimodalité

      

   Tenir un blog de qualité (enfin je l'espère) est une vraie contrainte, elle oblige à un investissement soutenu, chaque semaine, pour produire assez de billets assez fournis, et surtout effectuer tout le travail en amont de recherche et de recoupement des informations. C'est pourquoi le sujet récurrent, polémique et facile, est une bénédiction : après le cercle de l'optimodalité et l'autoroute ferroviaire, voici ici le troisième compte-rendu des aventures de Modalhor…

 

   Le 16 avril, les présidents de TLF (un syndicat de professionnels de la route) et du Cercle pour l'Optimodalité, ont tenu une conférence de presse sur leur « plan d'action ». Le compte rendu est disponible et nous apprend pas mal de choses intéressantes. Ce qui est impressionnant avec Modalhor, c'est que la fuite en avant est clairement leur philosophie d'entreprise. L'autoroute ferroviaire ne décolle pas (voir le lien ci-dessus) ? Ce n'est pas ce genre de détail qui va arrêter l'action, avec le plan européen de lignes ferroviaires, la mise à grand cadencement des autoroutes ferroviaires, prévus très prochainement. Et surtout ça n'empêche pas l'innovation...

 

   Ainsi le Cercle préconise la création d'autoroutes fluviales sur la Seine, et sur le Rhône. Transporter des remorques sur des barges fluviales, ce n'est pourtant pas forcément l'idée du siècle (ça déjà été fait, je crois), vu les relativement faibles distances des deux fleuves (en ligne droite, puisque les méandres de la Seine augmentent considérablement la longueur du trajet), et le fait qu'on ne peut pas empiler des remorques (au niveau environnemental, le bilan ne doit donc pas être extraordinaire). Et puis, il n'y a pas forcément de marché suffisant entre le Havre et Paris, par exemple, pour justifier un service de transport (très) lent de remorque (au contraire du trafic de conteneur), pour envisager un service à grande fréquence.

   Plus original, le Cercle préconise des services d'autoroutes combinés : la future autoroute maritime, au départ de Gijon, au nord ouest de l'Espagne,  s'arrêterait à Nantes, pour renvoyer les remorques sur la future autoroute ferroviaire qui s'arrêterait à Nantes aussi et rejoindrai ensuite Paris et Lille. Je ne sais pas si la future autoroute ferroviaire est toujours destinée à faire du Dourge-Bayonne (ça parait peu vraisemblable, vu le détour par Nantes, donc c'est sans doute ce qui est envisagée). A ce propos lire la communication de Modalhor, en bas de la page, qui avoue que seuls 10% ( !!!) des camions pourront emprunter cette liaison : « La ligne ferroviaire sur l'axe atlantique présente l'inconvénient de ne pas être au gabarit GB1 avant quelques années, de part la quinzaine d'ouvrages à gabarit réduit à dégager entre Poitiers et Irun, ce qui ne sera réalisé avant 2012 au moins… » Comme si il n'y avait que le problème du temps !

 Evidemment cela appelle quelques remarques rapides, mais non exhaustives :

-Il existe déjà une « autoroute maritime », de Nantes à Vigo (juste au nord du Portugal, à peine à 300 km de Gijon), qui existe depuis 30 ans (4 départs par semaines), on peut donc penser que la concurrence sera forte.

_Ce service va cumuler les aléas de deux systèmes de transports : la congestion portuaire plus la congestion ferroviaire, les grèves de la SNCF, plus celles des ports, les incidents techniques du rail, plus les intempéries en maritime… A partir de là, tenir les délais pour ne pas manquer le double sillon ferroviaire risque de représenter une gageure.

_ La liaison entre le terminal roulier de Nantes (Montoir), et le futur terminal Modalhor (les terminaux portuaires sont reliés au ferroviaire gabarit GB1, mais pourra t'on placer les quais spéciaux de Modalhor directement sur le port ?), s'annonce très problématique et coûteuse (il faudra des tracteurs et des chauffeurs sur place, pour réaliser le transbordement)

-Un navire roulier transporte en général plusieurs centaines de camion (230 par navire pour la liaison envisagée entre Nantes et Bilbao), alors qu'un train Modalhor transporte 80 camions (effectivement, on pourrait les faire plus grand, mais dans ce cas, le quai spécial est aussi plus grand et plus cher…), ce qui risque de poser problème.

   Sinon, la problématique du financement des navires a été évoquée (certains voudraient que l'état subventionne les navires, « comme les infrastructures »), et surtout Modalhor annonce un rabais sur son autoroute ferroviaire (AF) qui tarde à décoller. De 1000€, le tarif va descendre à 750 € (c'est annoncé comme provisoire). Evidemment, on ne parle pas ici d'équilibre des coûts, mais cela rendra peut-être l'expérience Modalhor plus présentable, au niveau commercial. Au passage, on admirera le lobbying de TLF : « C'est pourquoi, loin du champ médiatique et politique qui accompagne toujours le lancement de tel service, TLF qui soutient cette initiative depuis son origine, a obtenu de l'opérateur LORRY RAIL une offre de test à 750€ par voyage, valable à partir d'un voyage par jour et par sens pendant la durée qui sera nécessaire aux équipes pour faire tester l'intégration du service dans leur organisation. » Merci, TLF, pour ce cadeau qui ne vous coûte absolument rien… A noter cependant que réaliser un voyage par jour, et par sens, sur l'itinéraire Luxembourg-Perpignan, ne doit pas être si courant.

   Tout ça pour quoi ? Pour protéger l'environnement bien sûr. Selon Modalhor, passer par l'AF Perpignan Luxembourg permet d'économiser "20 € de carbone", par remorque. Ça ne veut pas dire grand-chose, mais à raison de 33 litres au cent et de 1000 km, on arrive à peu près à 330 litres de gasoil, soit environ 1 tonne de CO2 (en prenant comme acquis qu'un train n'émet rien, ce qui, même pour une ligne électrifiée, est contestable, vu que la SNCF achète une partie de son courant à l'étranger). C'est effectivement beaucoup. En attendant, le service doit coûter infiniment plus en perte d'exploitation que 20€ par camion (la FNTR, qui n'est certes pas forcément impartiale, parle de 1 million d'€ de perte par mois). Et les entreprises de transport combiné  ont du bien rire (jaune) en entendant Modalhor affirmer être plus efficace énergétiquement que le transport combiné. Cela me parait peu crédible, vu que Modalhor transporte beaucoup plus de tare, le « poids mort », constitué par la remorque routière (alors que le transport combiné transport juste la caisse, sans le châssis). Je ne vois donc pas comment la « masse tractée » serait plus faible de « 18% » avec l'AF, ce serait plutôt le contraire. A moins que les wagons Modalhor soient beaucoup plus légers, en plus d'être considérablement plus cher ?

 

   A côté, certaines autres initiatives de TLF, décrites dans le même document, ont peut-être un rapport coût/résultat beaucoup moins élevé : développer les outils de mesure systématique des émissions (notamment pour les sites logistiques), développer la formation des conducteurs, afficher la dépense énergétique du transport… Cela ne veut pas dire qu'il ne faille pas promouvoir le report modal, mais pas à n'importe quel coût.

 Au final, on peut se demander pourquoi TLF soutient Modalhor, alors que les autres syndicats de professionnels de la route, tel la FNTR, dénoncent régulièrement cette compagnie. C'est sans doute très réducteur, mais je ne peux m'empêcher d'énoncer ici ma théorie du complot. A un moment, on va faire les comptes de ça que coûte, ces services innovants de transport, comparé à ce que ça fait économiser en CO2. Et plus Modalhor aura pu aller loin, plus le retour de manche politique sera important. Et là, on n'embêtera plus les transporteurs routiers avec l'intermodalité pour un bon moment…


21/04/2008
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Une innovation qui tarde à trouver son public

L’intermodalité c’est chouette. Pour polluer moins, et surtout bouter les camions hors de nos belles routes, où ils ont tendance à casser notre pointe de vitesse en se dépassant entre eux sur les 2x2 voies, tout le monde est prêt à soutenir l’innovation. Humour mal placé mis à part, je pense avoir de solides préjugés en faveur de l’intermodalité. Mais qu’on n’en abuse pas…

 

Ce n’est pas, loin de là, la première fois que j’entends ces bruits. J’en avais même fait l’echo sur ce blog lors d’un commentaire d’un débat au sénat, à la fin de l’année dernière. Mais bon à l’époque il était difficile de tirer des conclusions, à peine quelques mois après l’ouverture effective du service par la société. Puis, il y eut  un intervenant d’une grande compagnie ferroviaire française, qui pourfendait le patron, plus doué selon lui pour le lobbying que pour la technique ferroviaire. Puis encore un éditorial très agacé de la FNTR (LTR du 2 mars)… Aujourd’hui, faut-il tirer un trait sur les chances de succès de l’aventure ? Pas forcément, les projets innovants mettent souvent du temps à rencontrer le succès.

 

Mais quand même.

On ne peut que rester abasourdi devant le culot de Philippe Mangeard et de Modalohr (sa société), puisque c’est bien de ça qu’il s’agit. J’avais trouvé le premier très sympathique et convainquant, lors d’une conférence en septembre dernier. Je ne m’étais même pas aperçu que je l’avais indirectement égratigné au début de’ l’année (« l’optimodalité » c’est lui). Mais la dure réalité s’impose.

 

   Le journal en ligne l’Essentiel méritant bien son nom, j’en suis réduit à copier-coller in-extenso un paragraphe de l’article consacré au sujet, l’autoroute ferroviaire Perpignan/ Luxembourg.

 

Actuellement, un seul aller-retour est assuré chaque jour sur plus de 1 000 km avec un taux de remplissage de 35% seulement sur 80 places disponibles, a précisé Philippe Mangeard, président de Modalohr, filiale de Lohr Industrie. Mais la société Lorry-Rail, qui exploite la ligne et dont Modalohr est actionnaire, prévoit "un doublement de fréquence dès 2009" avant «au moins 10 trains par jour dès 2012.

 

En gros, ça ne marche pas notre truc, on n’arrive pas à trouver 80 camions par jour pour remplir notre ligne (un aller retour par jour) sur un des axes routiers les plus fréquentés d’Europe (et les poids lourds passent presque tous au Luxembourg pour se ravitailler en essence moins chère…), mais à part ça tout baigne. On va augmenter les investissements, on va trouver 10 sillons[1] par jour sur un des axes ferroviaires les plus encombrés de France (notamment à cause du bouchon ferroviaire lyonnais, qui n’est pas prêt d’être résorbé vu l’opposition locale au projet de contournement fret de Lyon), le tout pour faire circuler des trains à deux-tiers vides.

Monsieur Mangeard a oublié de placer un mot sur le futur réseau européen d’autoroute ferroviaire (voir la carte), ou sur l’ouverture de l’autoroute ferroviaire atlantique (que le site de Lohr annonce encore pour 2008), mais ça a du être coupé à la mise en page… Accessoirement, je sais maintenant pourquoi l’ouverture de la ligne a été retardée : « Les wagons n'avaient pas été initialement conçus pour résister aux vents violents qui soufflent sur une partie du parcours. ». La communication avec la SNCF (qui connaissait forcément le problème) a l’air constructive...Le plus drôle (façon de parler), c’est que le groupe Lohr, à l’origine du projet, a finalement mis peu de billes dedans, il ne possède que 12,5% (par l’intermédiaire de Modalhor) du groupe Lorry-Rail (contre notamment 42.5% pour la Caisse des Dépots, en gros l’Etat, et 20% à Vinci).

 

Maintenant qu’on a critiqué un peu facilement, on peut essayer d’être un peu plus constructif. Pourquoi l’autoroute ferroviaire (AF), qui fonctionne grâce à un très ingénieux système de wagons pivotants, qui permettent de charger rapidement les camions sans portiques de manutention (par contre, il faut des quais spéciaux), n’arrive pas à décoller ? On en est réduit aux hypothèses (que je n’ai pas inventées, mais qui proviennent d’acteurs divers du monde du transport).

D’une part le problème de la diversité des dimensions des semi-remorques, qui tendent à prendre de l’embonpoint partout où c’est possible, a apparemment été sous-estimé (en particulier les remorques de plus de 4 mètres de haut ne peuvent utiliser l’AF), ce qui limite le nombre de clients potentiels. D’autre part la fréquence (un train par jour) doit rendre difficile l’utilisation du service par une compagnie routière. Celle dernière doit programmer un changement de conducteur (le premier amène la semi au Luxembourg, le second la récupère une grosse douzaine d’heure plus tard à Perpignan), développer donc un processus de transport complexe, qui doit adapter tout un parcours européen à l’horaire de l’unique train quotidien de Lorry-Rail, et qui peut être totalement remis en cause par un simple retard du premier conducteur (qui devrait alors attendre 24h le prochain train !). De ce point de vue, Modalhor a raison de militer pour une augmentation de la fréquence. Mais, nonobstant les problèmes de sillons, il faudra alors trouver 800 camions pour 10 aller-retours, alors qu’on arrive difficilement à en trouver 25 aujourd’hui.

Car le problème principal de l’AF, aujourd’hui, ça semble être le prix. Calqué sur les coûts des routiers français (et le prix français de l’essence, je suppose…), il serait trop cher (environ 1000€) à l’aune de la perte de compétitivité à l’international du pavillon français, dont le principe sinon l’ampleur est peu contesté. De façon peut-être encore plus cruciale, pourquoi un routier opterait pour un système compliqué, hasardeux, et même pas moins cher, alors que son système de transport basique (un camion tout du long) a lui marche bien ? Certes, l’AF est plus rapide (14h contre 22h en routier, selon Fret SNCF), mais vu le temps de sécurité et de chargement, cet avantage est réduit, surtout avec la fréquence actuelle. Certes, l’AF est ponctuelle (le magazine de Fret SNCF revendique 90% de ponctualité à 30 minutes), mais d’une part cela nécessite deux sillons (il faut un sillon de secours) par trajets et d’autre part le routier ne doit pas être beaucoup moins performant.

 

Bref, l’AF semble mal engagée, alors que la conjoncture est favorable (notamment la hausse du pétrole). Cela ne peut satisfaire personne. Cependant, il est vrai, que, tant que les AF auront la côte auprès du gouvernement actuel (et surtout tant qu’un autre projet intermodal aussi médiatique mais plus crédible n’aura pas apparu), Lorry Rail n’a pas trop de souci à se faire. Les factures seront payées d’une façon ou d’une autre.

 



[1] Un sillon ferroviaire, c’est une plage de temps précise où on va faire passer un train, sur un certain parcours


22/03/2008
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Opération "Overlord" pour les compagnies maritimes

La bataille entre les principales compagnies maritimes (qui ne sont pas forcément à couteaux tirés, diront certains) se joue aussi sur le plancher des vaches. Les grands armateurs mondiaux ont ainsi de plus en plus tendance à débarquer à terre pour s'occuper de leurs précieux conteneurs. Et c'est bénéfique pour l'intermodalité !

 

 

C'est la doctrine du « carrier haulage » (c'est la compagnie maritime qui supervise le transport à terre des conteneurs), par opposition au « merchant haulage » (c'est le chargeur, ici le destinataire, qui vient chercher son conteneur au port). Depuis quelques années la plupart des grandes compagnies de conteneurs s'y sont mis, pour deux raisons.

La première, c'est que la plupart des conteneurs en circulation appartiennent aux compagnies maritimes, qui les confient cependant à regret aux chargeurs à un moment ou à un autre (il faut bien lui laisser décharger sa marchandise). Cependant, un conteneur, quand il ne voyage pas sur un navire, c'est du capital inutilisé, du point de vue de la compagnie maritime. D'où la nécessité d'imposer une rotation rapide des conteneurs, pour améliorer la rentabilité. De plus, il est gênant pour une compagnie de perdre la trace de ses conteneurs et de ne pas savoir quand ceux ci lui seront rendus.

 La seconde, c'est la tendance à la saturation des ports, accueillant toujours plus de porte-conteneurs, qui déchargent toujours plus vite (même principe, un navire qui attend au port, c'est du capital improductif), toujours plus de conteneurs. Or les grands ports ne sont pas indéfiniment extensibles (en général, ils sont proches à la fois de grandes agglomérations et de zones naturelles). Certes, on trouve toujours la place de construire de nouveaux portiques (quitte à gagner de la place sur la mer comme pour Maasvlakte 2 à Rotterdam) Mais cela pose alors la question du stockage des conteneurs sur le port (et quand les conteneurs sont remplis, on ne les stocke pas sur 7 ou 8 hauteurs, mais sur deux seulement !), et de l'évacuation des conteneurs. Et là, les choses risquent de coincer, au sens propre, si on n'utilise que des camions, d'autant que les chargeurs ont pu prendre l'habitude d'utiliser les ports comme un lieu de stockage temporaire. Déjà la situation est difficile à Rotterdam, premier port européen, qui fait pourtant office de bon élève en matière d'utilisation des modes de transport terrestre alternatifs au routier. Selon l'Officiel des Transporteurs (7/09/2007) « Les temps d'attentes sont tels que les transporteurs de conteneurs voient déserter leurs conducteurs ».

 

Confronté à ces deux problématiques, les compagnies maritimes ne restent pas les bras croisés, et c'est une très bonne nouvelle. Depuis quelques années, elles investissent massivement dans les modes de transport terrestre massifiés, alternatifs au mode routier, profitant de la libéralisation du transport.

Il y a les compagnies ferroviaires : on peut citer Rail Link, filiale commune de Véolia et de la CMA-CGM, centrée sur Manheim, mais aussi ERS, basée à Rotterdam, et propriété de Maersk, qui commence à avoir un vrai réseau au centre de l'Europe (voir carte). Pour l'instant ERS s'arrête à la frontière (mais vraiment à la frontière) belge, sans doute par absence de certification pour la France (de toute façon, la croissance interne d'une compagnie ferroviaire est nécessairement lente, vu le temps de former les conducteurs, et les investissements nécessaires).

Il y a également les compagnies fluviales : sur la Seine, on citera RSC (River Shuttle Container), une filiale de la CMA-CGM, MSC, et Maersk Line. Bref les trois plus grandes compagnies maritimes mondiales. En général elles jouent seulement un rôle de commissionnaire de transport, déléguant le transport en lui même aux compagnies fluviales (souvent elles-mêmes un simple regroupement d'entrepreneurs individuels, le secteur étant encore assez artisanal).

 

Mais ce qui est intéressant à noter, c'est que les deux modes collaborent. Ainsi la compagnie RSC propose une navette quotidienne au client, grâce à l'utilisation du train (sans doute Rail Link), les jours où aucune barge n'est disponible (et 3 barges ce n'est pas suffisant pour assurer un départ quotidien dans les deux sens). Egalement, les compagnies maritimes ont investi dans des terminaux multi-modaux. Ainsi, une filiale de la CMA-CGM gère depuis 2007 le terminal tri-modal de Bonneuil (est de Paris). Et Maersk vient juste d'annoncer qu'il investissait dans un nouveau terminal à Neuss (près de Duisbourg). Le projet est pour l'instant modeste, 5 hectares (il pourrait s'agrandir à 8 hectares) et une capacité de 50-60 000 EVP (200 000 en prévision si l'agrandissement se concrétise). A titre de comparaison, le terminal DELTA 3 à Dourges (près de Lille), souvent cité en France, revendique 100 000 EVP/an et une capacité maximale de 200 000.

A ce sujet, le port de Rotterdam précise les avantages, du point de vue de l'intermodalité (et donc de l'environnement), du « carrier haulage » : lorsque la compagnie maritime prend en charge le conteneur à terre, les modes fluviaux et ferroviaires sont beaucoup plus utilisés que lorsque c'est le chargeur qui s'occupe du transport. Au départ de Rotterdam, 75% des transports de conteneurs sont effectués par fleuve ou par rail dans le premier cas (avec 42% de fluvial au total), et seulement 35% dans le second cas (par contre, là c'est le ferroviaire qui est le plus utilisé, avec 27% du total). La différence est impressionnante, même si elle peut sans doute être nuancée (le port de Rotterdam indique que « Many (smaller) shippers are located relatively close to the port and therefore use trucks »). Elle se justifie par la fait qu'un gros transporteur peut par nature plus facilement utiliser des modes massifiés (dont il assure le remplissage presque à lui tout seul).

 

 

Le report modal (enfin, dans le cas particulier des conteneurs) devrait donc progresser, par simple calcul économique, et c'est une bonne nouvelle. Ces lignes régulières créees un peu partout pourraient aussi être utilisées par d'autres utilisateurs (transport de caisses mobiles). Reste à savoir si l'infrastructure ferroviaire et fluviale pourra partout absorber la hausse continue du trafic maritime…


20/03/2008
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Les trains français sont les plus propres d'Europe

Un nouveau site (info d'après le CNT) vient d'apparaître sur la toile : Viacombi, qui traite du transport combiné, au sens large (le transport de caisse mobile ou de camions entiers, sur un bateau, une barge ou un train). On y trouve des actualités du secteur, mais aussi des fiches de « bonnes pratiques », très intéressantes, sur les expériences de transport combiné.

 Ainsi, par exemple on nous parle du transporteur TAB, qui opère (avec l'opérateur de transport combiné, dont les trains sont eux même tirés par la SNCF) la ligne Saint-Martin de Crau/ Valenton (IDF), pour le compte principalement de Décathlon. Cette ligne bénéficie d'une fréquence élevée (6 trains par semaine). Par contre, le note la fiche, « l'avantage compétitif du transport combiné tend à se réduire, au profit du routier ». Selon Viacombi (et on peut penser que ce n'est pas surestimé), le transport combiné n'est que de 10 à 15% moins cher que la route (or on peut penser que avoir deux organisations de transport différent génère d'autres coûts pour le chargeur). Par contre, cette solution permet 60% d'émissions de CO2 en moins.

   Pour l'autoroute de la mer Toulon-Civitavecchia, c'est plutôt le constat inverse (enfin, selon les chiffres fournies par l'organisateur, sachant que les gros chargeurs ne payent jamais le prix catalogue, ni pour le routier, ni pour les modes massifiés) : les prix sont réduits de moitié, alors que les émissions de CO2 sont péniblement réduites de 30% (je ne comprend pas trop, car le trajet a vue de nez est deux fois moins long en bateau que par la route !).

 

On trouve également un éco-comparateur. L'intérêt est ici que le site donne sa méthode de calcul. On va pouvoir s'intéresser à la pollution comparée des trains et des camions, sujet déjà traité sur ce blog. Bon, par contre les données d'émissions des trains sont données par les opérateurs ferroviaires, on ne sait pas trop comment elles ont été calculée. Notamment, on connaît les hypothèses de chargement des camions, mais pas celle des trains, alors que c'est un facteur essentiel. Vu les valeurs assez élevées, je pense que les opérateurs ont tenus compte de l'origine de l'électricité consommé. Ça doit d'ailleurs être pour ça que la France est de loin la nation dont les trains émettent le moins : 2.6g/CO2 à la tonne/km (contre 32g/tonne en Allemagne !). Mais, même avec le nucléaire français, la différence me semble énorme (en Allemagne aussi, une partie de la production d'électricité n'émet pas de CO2).

Egalement, j'ai été assez surpris de voir que dans certains autres pays européens, l'avantage du train par rapport au camion était faible, voir nul. Si on reprend la valeur d'émission d'un camion chargé de 25 tonnes de marchandise (la moyenne est plutôt à 10 tonnes, mais on peut penser que c'est plutôt sur les marchandises pondéreuses, que train et camions sont en compétition), donnée par viacombi, on obtient 47,4 gramme d'émissions à la tonne. Or le Royaume-Uni annonce pour ses trains 41g/tonne, le Portugal et la Grèce 44g/tonne, et l'Irlande (où il n'y a aucun réseau électrifié), 58g/tonne. En Irlande, le camion est plus écolo que le train en moyenne ! Cela me semble assez bizarre dans le sens où l'énergie perdu en frottement par un train sur des rails est censée être nettement plus faible que celle d'un camion sur route. Donc même un train diesel (et en Irlande, le réseau n'est pas électrifié) devrait émettre nettement moins de CO2 qu'un camion (à condition d'être bien chargé).

 

J'ai quand même le sentiment que ces résultats ne sont pas tous valables, même s'ils vont dans le sens de ce que je rapportais pour le wagon isolé (mais dans ce cas, il s'agissait de trains très courts de quelques wagons). En plus, cela ne me paraît pas très compatible avec les valeurs affichées dans les fiches…Le back-office a t'il contrôlé ces chiffres ? Je crois que je vais envoyer un mail à Viacombi…


04/02/2008
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Optimisation des synergies lexicales

      Ce blog se veut sympathique, réfléchi et constructif (et pas trop chiant, mais ça, c'est encore plus dur que le reste). Cela n'empêche pas, que parfois la critique bête et méchante a du bon. Les deux exemples en lien touchaient le lobby routier. C'est pourquoi, sans  attendre une éventuelle injonction du CSA, je réagis à l'info diffusé par le CNT, sur le 16ème bulletin d'un nouveau  lobby "eco-friendly", « le cercle pour l'optimodalité en Europe ». Crée il y a un peu moins d'un an, composé de membres de tous les modes, il veut promouvoir l'optimodalité (« l'Optimisation des performances techniques, économiques et environnementales des chaînes de transport de marchandises « ), notamment grâce à l'aide d'Opticapital, un fond de financement, qui labellisera des projets et leur procurera un financement (dans ce document, on voit que l'argent viendra d' « investisseurs institutionnels européens », ça a l'air facile comme ça).

      Bon, quelques remarques.

_Une structure du même genre existe déjà depuis 2001, c'est TDIE, qui regroupe des grandes entreprises du transport et des élus. A la lecture du site Internet, cette organisation semble en hibernation.

_Des organisations avec européen dans le nom, et où on ne trouve (presque) que des français dedans (tant chez les membres fondateurs et invités, que chez les experts ou le conseil d'administration), ça m'énerve tout de suite

_C'est quand même énorme qu'une organisation comme celle la soit dominée par les gens de la route : au conseil d'administration, sur 7 membres, il y a APPR (autoroutes), Géodis (routier) et Morry (messagerie, surtout du routier). Et après on affirme vouloir faire passer la part modale des alternatives à la route de 14 à 25% en 15 ans ! C'est vraiment prendre les gens pour des idiots (oui, je sais, je tape quand même sur les routiers…)

-Il paraît que chaque membre verse 25000€ de cotisation par an. Je ne sais pas combien ils ont versé à la société Vantage Consultant Internet, mais c'était sûrement trop : je n'ai jamais vu un site Internet aussi mal fait. Même avec un simple hébergeur de blog gratuit, on doit pouvoir faire mieux (et en tout cas moins moche). Les dirigeants auraient mieux fait de demander à un de leur gamin de leur faire un skyblog…

 

Encore une pour la route : il faut arrêter d'inventer des nouveaux termes (l' "optimodalité" ; ils ont essayé de le placer sur wikipedia, ils se sont fait rembarrer) qui n'apportent rien par rapport aux précédents.

Ce dernier point est l'occasion de faire le point sur les termes liés au changement de mode. D'un point de vue technique, en transport de fret, on distingue (tous les professionnels loin de là ne font pas la distinction) multimodalité et intermodalité. Quand il y a rupture de charge (exemple, le conteneur arrive au port, on l'ouvre, on le vide, et on remplit un camion), on parle de multimodalité. Quand il n'y a pas rupture de charge (exemple, le conteneur arrive au port, on saisit le conteneur, et on le pose directement sur une semi en plateau, ou sur un train, sans toucher à la marchandise), on parle d'intermodalité. L'intermodalité c'est mieux, plus rapide et plus sûre (on ne touche pas à la marchandise), mais ça demande des équipements (on ne peut pas décharger « à la main »).

Autant le dire tout de suite, quasiment tout le monde parle de multimodalité ou d'intermodalité  comme ça lui chante (il n'y a qu'a voir la page de wikipédia consacrée à la question), dès que pour un déplacement on a utilisé plus d'un moyen de transport.

Mais ce serait trop simple si on s'était arrêté là. Au niveau de la politique européenne, le terme intermodalité est associé au premier livre blanc des transports de 2001, où, grâce à l'intermodalité, on prévoyait, de façon très (trop ?) ambitieuse de faire du transfert modal (faire baisser la part de marché du camion, au profit des modes alternatifs). La commission est revenue à une approche plus raisonnable (ou du moins, plus en rapport avec ses moyens d'action) en 2006, avec le compte rendu à mi-parcours du livre blanc. Elle ne parlait plus alors que de comodalité ( "le recours efficace à différents modes de transport isolément ou en combinaison [dans le but d'obtenir une] utilisation optimale et durable des ressources"). On sent bien la logique de coexistence, plus que d'affrontement.

Il faut également noter l'utilisation du terme bimodalité, censé s'appliquer aux véhicules pouvant être utilisés sur deux types d'infrastructures différentes (le char amphibi, ou le fluvio-maritime, sont de bons exemples). Dans la pratique, cela veut plutôt dire « utilise deux modes différents », d'où les termes trimodalité et quadrimodalité (pas de quintamodalité, mais la CCI de Troyes inventera peut-être ça pour l'année prochaine). On peut également parler de transport combiné (en général, on restreint l'utilisation du terme au transport de conteneurs ou de caisse mobile sur un train).


On rajoutera donc le terme Optimodalité. Moi j'aurai défini ça par « chercher à optimiser les synergies entre les modes de transport». Ils n'ont pas osé. Grosso modo, il faut juste retenir de tous ces termes que "techniquement" ça veut toujours dire la même chose, dès qu'un lobby ou un politique le prononce, mais que par contre l'intention derrière n'est pas forcément la même. Il n'en reste pas moins que l'invention perpétuelle de nouveaux termes n'est pas un bon signe (et d'ailleurs ça ne touche pas que le transport). C'est le contraire de la situation de 1984 (le livre d'Orwell, où un personnage est chargé de réécrire le dictionnaire avec le moins de mots possible), on détruit le sens en créant sans arrêt de nouveaux mots.

D'ailleurs, si certains de mes lecteurs connaissent d'autres termes pour décrire un changement de mode (j'ai du en oublier), je suis preneur !


31/01/2008
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Les opérateurs de Transport Combiné face au défi de la qualité

Les gestionnaires d'infrastructure, réunis dans RailNetEurope, tenait conférence à Vienne le 22 novembre. L'UIRR (union internationale des sociétés de transport ferroviaire rail-route), par la voix de son directeur général, a demandé des réformes de la tarification des sillons (voir la présentation). Pour Mr Burkhadt, celle ci doit tenir compte de la qualité du service. En effet, c'est cette qualité de service qui est essentielle dans les systèmes logistiques modernes. Alors qu'on réduit les temps de stock, par souci de rentabilité, et qu'on augmente le nombre d'acteur le long de la chaîne logistique (spécialisation des usines…), il est essentiel que le temps de transport soit, non pas forcément court, mais fiable, sous peine de connaître des ruptures de stock, du chômage technique, etc... Ainsi, pour un intervenant que j'ai eu la chance d'écouter, on doit viser un taux de fiabilité « de plus de 99% », à chaque étape de la chaîne logistique, sinon, la fiabilité globale chute très vite. Or, ces 99%, le TC (Transport Combiné) en est loin. Selon les statistiques européennes de l'UIRR, pour des trains prévus longtemps à l'avance (entre 8 et 19 mois !), le taux de retard important est effarant. En 2007, 30% des trains arrivent avec plus de 3 heures de retard, et 10% avec plus d'un jour de retard ! Bref, on ne peut intégrer le TC à une chaîne logistique à flux un tant soit peu tendus.
    Les causes de ces retards (à l'échelle européenne, toujours)? A 80%, ils sont dus au système ferroviaire. Certes, il y a les grèves (5%), et les travaux (5%), pas forcément toujours évitables, mais les trois premières causes de retard semblent presque un peu ridicules : dans 8% des cas, la locomotive est en panne, dans 10% des cas, il manque du personnel, et dans 19% des cas, il manque la locomotive ! Egalement, dans 5% des cas, c'est une « sorting fault », ce qui doit vouloir dire qu'on s'est planté de train… Surprise, les raisons invoquées le plus régulièrement, comme la concurrence des trains de voyageurs, n'apparaissent pas vraiment (6% de retard du à un autre train). Par contre à première vue, il y a un certain manque de professionnalisme chez les opérateurs de TC. A se demander pourquoi leur organisation insiste sur ces chiffres ? En fait, on comprend un peu mieux quand on voit que l'UIRR distingue « opérateur de TC », « gestionnaire de terminaux » et « entreprise ferroviaire ». En fait, dans ce schéma (si vous avez le courage de lire la terminologie du secteur en version quadrilingue, c'est tout en bas), l'opérateur de TC ne fait que développer l'offre commerciale et fournir une partie des wagons. Effectivement, les retards ne sont pas souvent de sa faute, vu de ce point de vue. Mais bon, on peut parier que son client ne fait pas la différence. Et de toute façon, souvent, des entreprises cumulent les fonctions.

Bref, si de plus en plus de contrats ferroviaires intègrent des clauses de qualité de transport (en 2005, 58% dans le transport intermodal, contre seulement 25% dans le transport ferroviaire conventionnel), on peut comprendre, vu les taux de retards, que, comme l'admet l'UIRR, les seuils donnant droits à remboursement soient élevés, de façon à ce que les sociétés ferroviaires n'aient pas grand chose à payer.

M Burkhadt a fini sa présentation devant les gestionnaires d'infrastructure en exigeant que les « Intermodal operators […]have direct access to the information provided by IM concerning their trains ». Je ne sais pas si les gestionnaires d'infrastructure ont été convaincus. Mais bon, à regarder le PowerPoint (qui ne parle jamais directement de tarification des sillons, contrairement à l'intitulé du site Web), on aurait tendance à penser que les opérateurs de TC devrait d'abord balayer devant leur porte (ils sont quand même souvent des filiales de grandes entreprises ferroviaires) et/ou changer d'organisation (si c'est l'entreprise ferroviaire, qui pose problème, il faut changer de partenaire, ou faire évoluer le partenariat). Et les opérateurs de transport ferroviaire n'ont-ils pas vocation à devenir des « entreprises ferroviaires » à part entière, qui auraient les moyens de peser sur leur niveau de qualité ? Là est peut-être la vraie question.

 
    P.S qui n'a rien à voir : la dernière note de synthèse de l'ISEMAR, la 100ème , qui détaille 10 ans d'évolution du transport maritime, est très intéressante.


06/12/2007
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Les alternatives au fret routier : les innovations arrivent !

La semaine consacrée au transport dans une grande école française a été l'occasion de découvrir les récentes avancées des techniques intermodales, visant à remplacer les camions par un autre mode sur une partie du trajet.

Le thème est d'actualité, avec l'engagement récent du gouvernement d'augmenter de 25 % d'ici 2012, pour le fret, la part de marché des modes de transports moins polluants. L'objectif peut sembler ambitieux, et surtout très rapproché, vu la grande inertie du secteur. Toutes les expérimentations qui nous ont été présentées ont mis plusieurs années à se concrétiser. Mais on nous a présenté ainsi quelques belles réussites.

 

Ainsi le port de Gennevillier, à l'agonie il y a seulement quinze ans, dont les acteurs publics se disputaient le terrain pour en faire des logements, est aujourd'hui une affaire relativement florissante. Les conteneurs amenés du Havre par la Seine induisent une activité intense. Le transport fluvial est certes lent, mais ce n'est pas forcément rédhibitoire pour les logisticiens , qui peuvent s'en servir comme stock flottant. Autre petit avantage, cela permet de payer les frais de douane au déchargement à Paris, soit 36 heures plus tard. Un plus grand intérêt pour les chargeurs serait peut-être les voies de chemin de fer qui arrivent juste au port. Pas vraiment utilisées au maximum de leurs possibilités, elles permettent notamment à Monoprix de faire livrer ses conteneurs jusqu'à son entrepôt de Bonneuil.

Monoprix, par sa filiale logistique, la SAMADA,  se distingue également en matière de transport de fret par son utilisation du rail en région parisienne. Profitant de la disponibilité des voies du RER une partie de la nuit, Monoprix peut livrer par train certaines marchandises (une faible partie du total) directement à son entrepôt parisien. Monoprix espère améliorer son image et a obtenu un très bon emplacement près de Bercy, pour compenser le surcoût du transport.

La congestion en région parisienne favorise l'innovation, mais l'entreprise MODALOHR voit plus large. Il s'agit de transporter par train les remorques de camion entre Luxembourg et Perpignan. Le principal écueil du transport intermodal, les difficultés de transbordement, est ici résolu par un ingénieux système de wagon pivotant et de quai surélevé. La ligne démarre tout juste, mais MODALOHR espère déjà constituer un réseau européen. Le gros problème est ici d'obtenir des sillons ferroviaires, pour emprunter des voies déjà congestionnées en certains points, et où la priorité était donnée jusqu'ici au transport de passager.

 

Bref, si on ne peut que se féliciter du surcroît d'innovation dans le secteur, la part modale de la route n'a pour l'instant pas trop de souci à se faire. D'une part parce que l'écrasante majorité des déplacements en camions se font sur une courte distance. D'autre part parce qu'à longue distance, un report modal important nécessiterait des investissements colossaux pour construire des infrastructures dédiées. Ainsi la Communauté européenne du rail (c'est un lobby d'industriel du rail, et non une institution européenne) estime à 145 milliard d'euros l'investissement nécessaire sur 6 corridors principaux pour faire passer la part du fret ferroviaire de 17 à 22%.

 


05/10/2007
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