Tout le monde soutient les modes alternatifs à la route, mais chez le voisin.
Les écologistes, les politiques, les simples citoyens, tout le monde est pour le développement des modes alternatifs. N'importe quel sondage ou interview (même d'un lobbyiste du routier !) donnera le même résultat : il faut développer le rail, le fluvial et les autoroutes de la mer. Mais quand il s'agit de mettre ces belles paroles en pratique, les choses se compliquent…
Sur le terrain, construire des voies ferroviaires ou un nouveau canal générera autant (voire souvent plus) d'opposition que construire une autoroute ! Comment expliquer ce paradoxe ?
Cette situation concerne les infrastructures de transport (rails, canaux…) mais aussi les installations terminales (gares, ports, chantiers de transport combiné…). Dans le premier cas, on peut citer l'énorme opposition au canal Rhin-Rhône, dans les années 70 à 90, qui a fini par tuer (entre autres raisons) le projet, ou plus récemment, l'opposition au contournement fret de Lyon, ou encore l'opposition locale (surtout du côté italien) à la liaison ferroviaire Lyon-Turin. Dans le second cas, on peut citer les menaces des élus locaux, qui ont failli aboutir à la reconversion du port de Gennevilliers, les incertitudes qui pèsent sur le futur du chantier de transport combiné de Noisy le Sec, les obstacles aux projets d'extensions du port du Havre…
Pourquoi cette opposition des riverains ? Comme pour n'importe quelle autoroute, la contestation se nourrit du syndrome NIMBY, des antagonismes de la politique locale, voire parfois du désœuvrement de quelques jeunes retraités. Mais on ferait une erreur en n'y voyant que ça.
En effet, si on adopte le point de vue d'un riverain, les infrastructures de transports de fret n'ont presque que des défauts. D'une part, le citoyen lambda a du mal à percevoir l'utilité qu'il va retirer d'une liaison dédiée aux marchandises. D'autre part, contrairement aux réseaux routiers (pour une autoroute, c'est un peu moins vrai, mais les entrés sorties sont en générales assez rapprochées), le réseau ferroviaire n'a (dans la plupart des cas) pas vocation à desservir le territoire traversé, mais à relier des points éloignés. Les riverains ont donc les inconvénients de l'infrastructure (effet de coupure, bruit, éventuellement pollution) sans en avoir les avantages (une amélioration de la desserte qui pourrait favoriser l'emploi local, par exemple). Or ces effets secondaires peuvent être très important (voir à ce sujet l'article sur les externalités du transport). Ainsi le bruit des trains de fret (qui roulent souvent de nuit, vu que les trains de voyageurs accaparent les sillons de jour), est très mal ressenti : plus irrégulier que celui des camions (1 camions toutes les 30 secondes, on finit par s'y habituer, un train toutes les 10 minutes c'est plus difficile), il est souvent plus fort pour les trains de fret que les trains de voyageurs, vu que le profil des voies est « adapté » (par l'usure) au profit de chargement des trains qui voyagent le plus souvent sur la ligne (c'est pourquoi, sur une ligne mixte, un train de fret, plus lourd et qui roule moins vite, « grince » souvent dans les courbes). Aussi, d'après une étude commandée par l'Union Européenne (voir article cité plus haut), en interurbain, un train génère (un peu) plus d'externalités (par tonne.km transportée) dues au bruit qu'un camion
Dans le cas des installations terminales (qui doivent, pour être efficaces, être implantées près des bassins de consommation, soit près des villes), c'est encore pire : alors qu'elles sont censées « enlever des camions des routes », pour le riverain, cela signifie un accroissement du trafic de camion ! En effet, dans le cas du transport combiné, les derniers kilomètres se font en camions, et il faut au moins 50 camions pour alimenter chaque train de transport combiné. C'est tout le paradoxe, on enlève les camions sur le trajet en rase campagne, mais pas en zone urbaine, où leur présence est la plus mal ressentie par la population. On peut dire la même chose d'un port fluvial ou maritime, ce sont des aimants à poids lourds, au point de susciter des réactions de rejet, qui obligent les autorités portuaires à réagir (voir l'article précédent sur le port de Los Angeles).
Plus généralement, promouvoir une infrastructure dédiée au fret nécessite d'adopter le point de vue de l'intérêt général. Or, tous les territoires concernés n'ont pas un intérêt dans la réalisation de l'infrastructure. Dans un contexte de décentralisation, c'est un handicap sérieux, et on peut comprendre l'opposition des riverains. Mais les écologistes ?
Faire des choix du style « favoriser le train, même si cela se peut se faire localement au dépend d'une zone humide » n'est pas vraiment dans le mode de pensée des associations de protection de l'environnement, le plus souvent construites sur une base locale. Ces projets manquent donc du soutien des défenseurs de l'environnement. En général, les acteurs associatifs soutiendront le concept, avant tout de suite de préciser que le projet n'a pas été bien étudié, qu'il faudrait le construire ailleurs, que de toute façon, « ça ne sera pas rentable » (les écologistes n'ont à ce sujet aucun scrupule à reprendre des arguments qu'un lobbyiste routier n'oserait utiliser aussi franchement), que la population n'a pas été assez consultée…
C'est pourquoi notamment la décision européenne de favoriser 30 projets structurants de transport (les projets TEN-T, le plus souvent des projets de modes alternatifs à la route) se heurte à de nombreuses objections des associations environnementales. Selon l'association Birdlife, qui a analysé les projets, plus d'un milliers de site d'intérêt environnemental (dont près de 400 déjà protégés) seraient affectés par ces projets (voir l'avis de T&E). La méthode utilisée me semble toutefois contestable : à l'aide d'un logiciel de SIG (Système d'Information Géographique), l'association a simplement (enfin, ça reste un boulot énorme) recensé toutes les zones naturelles distantes de moins de