Transport fluvial


Le coût du transport fluvial ou les caprices du fleuve

L'union européenne a publié son compte rendu semestriel du trafic par voie d'eau « Market observation for observed inland in Europe-2007-2 » . Il traite pour la première fois du trafic de passager, mais là n'est bien sur pas notre préoccupation première. Pour le fret, en résumé, l'activité augmente un peu, et les prix beaucoup.

Le transport fluvial européen, c'est approximativement 100 millions de tonnes transportées par an (à peu près 5 fois le volume du ferroviaire français)[1]. Mais l'année 2007 n'a pas été particulièrement bonne, même si le trafic a continué a augmenté (+2.7%), avec des transports des vracs liquides (le pétrole, principalement) qui se sont rétractés de 3%, et une croissance des conteneurs qui a fléchi (+3%, à comparer avec le +9% du trafic portuaire). Le rapport détaille les évolutions pour les principaux ports et routes commerciales. Egalement il détaille l'évolution de la flotte de navire, qui connaît une croissance mesurée (+1.7% par an depuis 2002), mais plutôt axée vers les grosses unités, avec une grande majorité de navires de plus de 2000 tonnes. La flotte de pétrolier et chimiquier connaît elle une évolution rapide, avec des grosses unités plus conformes aux législations environnementales qui remplacent les anciennes.

            Mais, comme pour le transport fluvial français (voir article précédent), ce qui m'a paru le plus révélateur, c'est l'évolution des prix. Pour les vracs secs (le charbon, les céréales), ils ont bondi de plus de 100% depuis 2002 ! Pourtant la demande n'a  pas explosé entre temps, et la capacité globale de transport augmente.  Encore plus étonnant, la situation des vracs liquides : malgré un marché déclinant (légère baisse), les prix ont grimpé de 30% ! A noter qu'il ne s'agit là que d'évolution en tendance (et j'ai évalué les deux derniers pourcentages au jugé), dont il ne faut pas surestimer la significativité : au cours de l'année, les prix varient fortement, notamment avec les conditions de navigation (principalement le niveau de l'eau). Mais il y a quand même un mystère, que le rapport de l'UE dissipe heureusement en bonne partie quelques pages plus loin : le coupable, c'est le coût d'exploitation.

Sans surprise vu la hausse des prix du transport et la hausse des matières premières, les coûts des nouveaux navires, et donc des navires d'occasion, augmentent. Sans aller jusqu'à la situation des vraquiers maritimes, (où à cause de la pénurie, des armateurs ont pu vendre leur navire d'occasion nettement plus cher qu'ils ne l'avaient acheté neuf !), le prix de la tonne de capacité a crû de 40% en 5 ans. Hausse qui, couplée à la remonté des taux d'intérêt, a accru mécaniquement les frais financiers du transport fluvial.

C'est bien entendu largement la conséquence de la hausse des prix, et non entièrement la cause, mais cela n'est pas sans conséquence sur l'exploitation, d'autant que la part du carburant a cru lui aussi : de 76% en 5 ans ! Le fait de ne pas payer de taxe ou presque sur les hydrocarbures (et de ne pas avoir de politique de surcharges carburants systématiques, selon le rapport) rend aussi plus sensible à la hausse du carburant, carburant qui représente maintenant 20% des coûts d'exploitation (c'est encore nettement moins que le routier). A noter 40% de coûts salariaux, ce qui semble beaucoup (a priori une seule personne suffit à conduire une péniche, mais cela ne doit plus être vrai pour les grosses unités ?).

 Au final, si pour le vrac solide, il reste de la marge, les coûts du transport de vrac liquide ont augmenté plus vite que les prix (voilà l'explication du paradoxe précédent). A noter aussi que les salaires des personnels ont augmenté plus que l'inflation générale, apparemment le signe d'une certaine tension sur le marché du travail. C'est finalement assez logique, transporteur fluvial est un métier difficile, assez en déphasage avec les contraintes sociales de la vie moderne[2].

  Bref, au moment ou le transport routier perd des plumes, le transport fluvial se remplume, mais ne semble guère capable de gagner beaucoup de parts de marché, vu qu'une simple légère hausse de son activité semble l'approcher de la surchauffe économique. Mais cette situation est elle structurelle, ou conjoncturelle ? En tout cas, le transport fluvial, qu'on a pu croire moribond, est loin de boire la tasse…


[1] Enfin dans ce rapport, la zone observée n'est pas très claire, et on ne sait pas toujours trop si les données concernent l'ensemble de l'Europe ou seulement le Rhin. Apparemment les données de coûts et de prix viennent du Rhin. Même si la situation ailleurs doit être relativement similaire pour beaucoup d'indicateurs, les conclusions tirées ici ne sont sans doute pas valable sur tous les bassins.

[2]Même si la situation a beaucoup changé depuis une vingtaine d'année, je ne peux m'empêcher de conseiller ici la lecture du roman (plus pour des raisons « littéraires » qu'autre chose) « Le dernier voyage », de Bruno Poissonnier, éditions métailié, un petit (en nombre de pages) roman tragique et poignant, sur fond de fin d'époque pour les mariniers « à l'ancienne »


04/08/2008
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Le bilan 2007 du transport fluvial

Le ministère de l'aménagement durable (enfin l'équipement quoi, de toute façon, la dénomination du ministère n'a jamais été très durable) vient de mettre à jour certaines de ses fiches sur son site Internet (voir les fiches ici). L'occasion de faire un petit point sur le trafic fluvial.

 

La fiche « Ports maritimes et fluviaux, flotte de commerce, voies navigables », fait le point sur les résultats (en général provisoires) de 2007 du transport maritime et fluvial. J'ai déjà abordé le premier point (mais la fiche du MEDAD apporte beaucoup plus de précisions, j'ai appris notamment que le tonnage de Calais était très important, plus de 40 millions de tonnes ! , grâce au trafic transmanche) lors de l'annonce de la réforme portuaire, je vais donc m'intéresser au second point, le transport fluvial. Voir à ce sujet les pages 32 à 36 de la fiche.

 

Le bilan est plutôt mitigé : que l'on compte en tonnes transportées (juste en dessous de 61 millions de tonnes, à comparer avec environ 100 millions pour le transport ferroviaire), ou en tonnes kilomètres (7.5 milliard de tonnes kilomètres, cinq fois moins que le ferroviaire), la voie d'eau a reculé en 2007. De tous les grands réseaux, seul le Rhin affiche une progression entre 2006 et 2007. Le transport fluvial est attiré par les ports maritimes, avec un peu plus de 10% du trafic, qui est à origine ou à destination des 4 plus grands ports français (Dunkerque, Le Havre, Rouen et Marseille, Nantes n'étant pas concerné ou presque par le fluvial). Au niveau des ports fluviaux c'est Paris (le port est éclaté sur plusieurs sites) qui domine largement, avec 21 millions de tonnes traitées. On notera que souvent les flux sont assez déséquilibrés : ainsi Paris décharge 50 % de marchandise en plus qu'il ne charge.

Mais cette tendance baissière cache des évolutions différenciées selon le type de marchandise. Si le trafic des vracs a plutôt tendance à diminuer (à l'exception notamment des engrais), les conteneurs continuent d'augmenter. Le Rhin fait encore une fois bande à part, avec une baisse de 6 % du trafic (mais le volume, 139000 EVP hors transit,  reste très important, vu la faible longueur du Rhin en France). La progression est sensible sur le Rhône, +10%, et extrêmement forte sur la Seine, plus 30%. C'est plutôt bon signe pour le canal Seine-Nord, qui devrait être mis en service d'ici 10 ans ? En tout cas, avec 185 000 EVP, par an, le basin Seine-Oise devient le premier axe de transport fluvial français de conteneurs. On peut penser que l'activisme des compagnies maritimes à ce sujet (voir article précédent) n'est pas pour rien dans ces bons résultats.

Deux éléments encore me semblent intéressant. D'une part les unités de transport ont tendance à être moins nombreuses mais plus grandes (pour les marchandises générales, le nombre d'unité baisse, et la capacité totale augmente), même si cette évolution est lente. D'autre part, les prix du transport fluvial sont assez volatils et, surtout, orientés à la hausse (voir l'indice des prix page 35), surtout pour les prix à l'international. En tout cela fait plus 20% depuis 2000 pour le trafic domestique, et plus 50 % pour le trafic international ! Ce doit être le prix pour affréter un navire pour le transport de vrac (pour le transport de conteneurs, ça ne varie pas comme ça et heureusement pour le chargeur).

 

Quelque part, c'est bon signe : si le fluvial peut augmenter ses prix à ce point (pour le trafic international ; pour le trafic domestique 20% ce doit être comparable avec la hausse des prix du routier) sans perdre ses marchés, c'est qu'il y a un besoin de fluvial en Europe...

 

 


25/03/2008
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Un navire propre pour le transport fluvial

Un des grands problèmes du transport par voie d'eau, c'est la pollution locale qu'il génère. Mais la recherche progresse.

L'Union européenne présente dans sa dernière newsletter "un exemple parfait de solution scientifique concrète élaborée grâce à la collaboration au sein de l'espace européen de la recherche", avec l'expérimentation d'une péniche propre. Il s'agit d'une péniche à grand gabarit, la M/S Victoria (70 m de long et 1377 tonnes de capacité de chargement), développée par Creating, un partenariat de 27 entreprises et organismes de recherche. Grâce à la combinaison de l'emploi d'un carburant à faible teneur en soufre, d'un filtre à particule et d'une réduction catalytique, on réduit (selon l'organisme Creating) spectaculairement respectivement les émissions de  SO2, de particules, et de NO2. Pour le CO2, pas de miracle, il faut bien rejeter quelque chose (et les dispositifs anti-pollution ont plutôt tendance à faire augmenter légèrement la consommation), mais un système de contrôle de la vitesse permet toutefois d'arriver à une baisse globale de 5% des émissions de CO2.

Le plus impressionnant c'est les 99,5% annoncée de réduction de S02. Utile quand on sait que un des aspects les plus décrié du transport maritime, c'est justement les émissions de soufre (voir article précedent). D'après T&E, selon une étude commandée par une ONG américaine, disponible ici mais dont les résultats me paraissent peu réalistes (bien que je n'aie pas vraiment les compétences pour juger, d'autant que cette recherche s'appuie sur des résultats et des études antérieurs), "la sous réglementation de la pollution aérienne par le transport maritime va causer 80000 morts d'ici 2012 dans le monde, et ce prix à payer pourrait être divisé par deux par une réduction significative de la  teneur en soufre". On peut penser que la CATF force le trait (les navires émettent surtout en pleine mer, là où il n'y a personne, et les pollutions ont le temps d'être dispersée). Cependant, il n'en reste pas moins que cette pollution peut être très problématique localement. Mais cette solution de CREATING est elle généralisable, et transposable aux navires maritimes (au moins sur les nouveaux)? En l'absence de la moindre donnée économique, il est difficile de se forger une opinion.

 


03/03/2008
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Une nymphe qui a encore du mal à remonter le courant...

Le 5 décembre 2007, la commission européenne a publié le premier rapport d'activité (COM(2007) 770 final) sur la mise en œuvre d'un programme au nom particulièrement bien choisi : le programme NAIADE(Navigation And Inland Waterway Action and Development in Europe). Ce programme est destinée à promouvoir le transport de marchandise par la voie d'eau. Ce rapport fait le point sur l'action européenne en ce domaine depuis un an, forcément limitée, sans même parler de résultat (sur un an, la part du fluvial stagne, notamment à cause de problèmes de transbordement à Rotterdam). Côté action, on peut retenir:

_quelques retouches législatives (notamment la directive 2006/87/CE, établissant les prescriptions techniques des bateaux de la navigation intérieure)

_un amélioration des possibilités de financement (l'UE peut maintenant financer 20%-10% auparavant- des projets jugés « prioritaires », et jusqu'à 30% pour les projets transfrontaliers

 

      Egalement, ce rapport se penche sur les projets d'action futurs. On peut noter que la commission relève les difficultés des entreprises du secteurs, de petites tailles, à accéder au capital, et étudie l'idée de développer des « guichets spécifiques », et de publier l'année prochaine un « manuel du financement », après « un inventaire des systèmes d'aide disponible » au niveau européen à régional ». Certains à la commission auraient il entendu les critiques sur l'éparpillements et la complexité des financements (voir l'article sur le financement du TMCD) ?

 

En matière environnementale, la commission veut faire baisser les taux de souffre des fiouls pour bateaux, profitant d'un plus grande marge de manœuvre que pour le transport maritime (voir l'article sur les émissions des navires).

 

Plus étonnant, la commission tente d'organiser le dialogue social au niveau européen pour les salariés du secteur de la navigation fluviale, en ce qui concerne l'aménagement du temps de travail spécifique au secteur, et l'élaboration d'une définition des exigences de qualifications professionnelle valable à l'échelle de l'UE. Pour le premier point au moins, l'UE ne marche t'elle pas sur les terres des Etats membres ?

 

Enfin, en matière de gros sous, la commission propose la création de « fonds européen pour l'innovation dans le transport par voies navigables ». Ces fonds (pourquoi donc le pluriel ?) n'aurait évidemment pas vocation à remplacer la batterie de fonds existantes :

Parallèlement, l'aide financière resterait disponible pour les services de navigation intérieure au titre du programme MARCO POLO, pour l'amélioration de l'infrastructure au titre du RTE-T et de la politique de cohésion, et pour la recherche au titre du programme-cadre de RDT. Cela me fait douter de ce que j'écrivais deux paragraphes plus haut

Pourtant, on ne peut pas dire que les structures de financements actuelles soient toujours très efficaces en matière de transport fluvial : l'UE reconnaît qu'un seul projet fluvial a été financé par MARCO POLO en 2006, et que seul 9 millions d'€ (1,5% du budget) ont été investis dans le fluvial au titre des financements RTE. Soyons juste, de nombreux appels à candidature sont en cours (notamment pour les SIF –Système d'Information Fluvial), et d'autre part le financement de projets lourds (Seine Nord, liaison Rhin/Danube) devrait augmenter ces prochaines années la part du fluvial dans le financement des infrastructures.

 

L'Europe fluviale avance, lentement mais sûrement…


10/12/2007
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