Optimisation des synergies lexicales

      Ce blog se veut sympathique, réfléchi et constructif (et pas trop chiant, mais ça, c'est encore plus dur que le reste). Cela n'empêche pas, que parfois la critique bête et méchante a du bon. Les deux exemples en lien touchaient le lobby routier. C'est pourquoi, sans  attendre une éventuelle injonction du CSA, je réagis à l'info diffusé par le CNT, sur le 16ème bulletin d'un nouveau  lobby "eco-friendly", « le cercle pour l'optimodalité en Europe ». Crée il y a un peu moins d'un an, composé de membres de tous les modes, il veut promouvoir l'optimodalité (« l'Optimisation des performances techniques, économiques et environnementales des chaînes de transport de marchandises « ), notamment grâce à l'aide d'Opticapital, un fond de financement, qui labellisera des projets et leur procurera un financement (dans ce document, on voit que l'argent viendra d' « investisseurs institutionnels européens », ça a l'air facile comme ça).

      Bon, quelques remarques.

_Une structure du même genre existe déjà depuis 2001, c'est TDIE, qui regroupe des grandes entreprises du transport et des élus. A la lecture du site Internet, cette organisation semble en hibernation.

_Des organisations avec européen dans le nom, et où on ne trouve (presque) que des français dedans (tant chez les membres fondateurs et invités, que chez les experts ou le conseil d'administration), ça m'énerve tout de suite

_C'est quand même énorme qu'une organisation comme celle la soit dominée par les gens de la route : au conseil d'administration, sur 7 membres, il y a APPR (autoroutes), Géodis (routier) et Morry (messagerie, surtout du routier). Et après on affirme vouloir faire passer la part modale des alternatives à la route de 14 à 25% en 15 ans ! C'est vraiment prendre les gens pour des idiots (oui, je sais, je tape quand même sur les routiers…)

-Il paraît que chaque membre verse 25000€ de cotisation par an. Je ne sais pas combien ils ont versé à la société Vantage Consultant Internet, mais c'était sûrement trop : je n'ai jamais vu un site Internet aussi mal fait. Même avec un simple hébergeur de blog gratuit, on doit pouvoir faire mieux (et en tout cas moins moche). Les dirigeants auraient mieux fait de demander à un de leur gamin de leur faire un skyblog…

 

Encore une pour la route : il faut arrêter d'inventer des nouveaux termes (l' "optimodalité" ; ils ont essayé de le placer sur wikipedia, ils se sont fait rembarrer) qui n'apportent rien par rapport aux précédents.

Ce dernier point est l'occasion de faire le point sur les termes liés au changement de mode. D'un point de vue technique, en transport de fret, on distingue (tous les professionnels loin de là ne font pas la distinction) multimodalité et intermodalité. Quand il y a rupture de charge (exemple, le conteneur arrive au port, on l'ouvre, on le vide, et on remplit un camion), on parle de multimodalité. Quand il n'y a pas rupture de charge (exemple, le conteneur arrive au port, on saisit le conteneur, et on le pose directement sur une semi en plateau, ou sur un train, sans toucher à la marchandise), on parle d'intermodalité. L'intermodalité c'est mieux, plus rapide et plus sûre (on ne touche pas à la marchandise), mais ça demande des équipements (on ne peut pas décharger « à la main »).

Autant le dire tout de suite, quasiment tout le monde parle de multimodalité ou d'intermodalité  comme ça lui chante (il n'y a qu'a voir la page de wikipédia consacrée à la question), dès que pour un déplacement on a utilisé plus d'un moyen de transport.

Mais ce serait trop simple si on s'était arrêté là. Au niveau de la politique européenne, le terme intermodalité est associé au premier livre blanc des transports de 2001, où, grâce à l'intermodalité, on prévoyait, de façon très (trop ?) ambitieuse de faire du transfert modal (faire baisser la part de marché du camion, au profit des modes alternatifs). La commission est revenue à une approche plus raisonnable (ou du moins, plus en rapport avec ses moyens d'action) en 2006, avec le compte rendu à mi-parcours du livre blanc. Elle ne parlait plus alors que de comodalité ( "le recours efficace à différents modes de transport isolément ou en combinaison [dans le but d'obtenir une] utilisation optimale et durable des ressources"). On sent bien la logique de coexistence, plus que d'affrontement.

Il faut également noter l'utilisation du terme bimodalité, censé s'appliquer aux véhicules pouvant être utilisés sur deux types d'infrastructures différentes (le char amphibi, ou le fluvio-maritime, sont de bons exemples). Dans la pratique, cela veut plutôt dire « utilise deux modes différents », d'où les termes trimodalité et quadrimodalité (pas de quintamodalité, mais la CCI de Troyes inventera peut-être ça pour l'année prochaine). On peut également parler de transport combiné (en général, on restreint l'utilisation du terme au transport de conteneurs ou de caisse mobile sur un train).


On rajoutera donc le terme Optimodalité. Moi j'aurai défini ça par « chercher à optimiser les synergies entre les modes de transport». Ils n'ont pas osé. Grosso modo, il faut juste retenir de tous ces termes que "techniquement" ça veut toujours dire la même chose, dès qu'un lobby ou un politique le prononce, mais que par contre l'intention derrière n'est pas forcément la même. Il n'en reste pas moins que l'invention perpétuelle de nouveaux termes n'est pas un bon signe (et d'ailleurs ça ne touche pas que le transport). C'est le contraire de la situation de 1984 (le livre d'Orwell, où un personnage est chargé de réécrire le dictionnaire avec le moins de mots possible), on détruit le sens en créant sans arrêt de nouveaux mots.

D'ailleurs, si certains de mes lecteurs connaissent d'autres termes pour décrire un changement de mode (j'ai du en oublier), je suis preneur !



31/01/2008
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