Le transport routier sous contrôle européen
Le thème de la réglementation sociale en transport routier, et de son application, est indémodable depuis une vingtaine d'année. La réglementation, visant à protéger les chauffeurs routiers, mais aussi les autres usagers de la route, est abondante, et souvent décriée. En effet, son respect par les transporteurs est souvent problématique. La tentation est forte, car, selon Michel Savy, une entreprise qui ne respecte pas la réglementation peut gagner jusqu'à 40% de productivité ! De plus, les différences entre législations nationales nourrissent les accusations de dumping social, envers les pays du sud et de l'est de l'Europe. C'est ici qu'intervient l'Europe, qui essaie d'harmoniser ces législations, dans le cadre d'un espace de transport européen ouvert à la concurrence, et notamment au cabotage (par exemple une entreprise polonaise, qui fait un Gdansk-Lyon, et qui en profite pour transporter du fret entre Lyon et Strasbourg). Le règlement 561/2006, prévoit ainsi que
"The daily driving period shall not exceed 9 hours, with an exemption of twice a week when it may be 10 hours. There can be six driving periods per week. The total weekly driving time may not exceed 56 hours and the total fortnightly driving time may not exceed 90 hours. The daily rest period shall be at least 11 hours, with an exception of going down to 9 hours three times a week. There is provision for a split rest of 3 hours followed by 9 hour rests to make a total of 12 hours rest per day. Weekly rest is 45 continuous hours, which can be reduced to 24 hours. Compensation arrangements apply for reduced weekly rest periods. Breaks of at least 45 minutes (separable into 15 minutes followed by 30 minutes) should be taken after 4 ½ hours at the latest."
C'est facile à dire mais encore faut-il pouvoir le vérifier! En pratique, les véhicules routiers doivent être équipés d'un chronotachygraphe, disque qui relève l'historique des vitesses, et sur lequel le conducteur doit marquer ses horaires, et les entreprises de transport doivent tenir le planning de leurs chauffeurs. Les contrôles peuvent donc s'effectuer à deux niveaux.
C'est pourquoi la communication de la commission, qui, tous les deux ans, rend compte des contrôles effectués et des infractions constatées dans les différents Etats membres, est intéressante. Le 10 octobre 2007 est paru, la communication COM (2007) 622, sur l'application de l'ancien règlement 3820/85, durant la période 2003/2004.
Premier constat, faire appliquer une réglementation européenne sur le terrain n'est pas facile. La commission ne peut ainsi que constater que « Bien que le règlement s'applique depuis plus de 20 ans, les États membres continuent d'interpréter et d'appliquer ce texte de façon différente. », et que notamment les données collectées au niveau des états ne sont pas toujours équivalentes (par exemple la France se distingue en classant les infractions en résident et non-résident, et non entre nationaux et non nationaux, ce qui empêche les comparaisons avec les autres pays).Plus grave, en Grèce, il semble que l'application du réglement de 1985 pose toujours problème, (« La Grèce n'a pas fourni les données relatives aux infractions, et le nombre déclaré de véhicules assujettis au règlement 3820/85 apparaît très faible, ce qui a entraîné un nombre très bas de journées de travail à contrôler et, de ce fait, le taux de contrôles effectués semble très élevé. », bref les grecs se moquent de la commission, mais vu leur position géographique, la commission doit considérer le problème de distorsion de concurrence comme mineur).
Il y a toutefois de quoi être satisfait : le seuil européen légal de contrôle de la réglementation en ce qui concerne les temps de conduite et de pause est élevé (à mon sens), 1%, et est respecté par presque tous les états (bonnet d'âne à la Suède et surtout au Portugal). En France (comme en Espagne d'ailleurs, pays souvent montré du doigt par les transporteurs français), on était déjà conforme en 2003/2004 à la nouvelle réglementation, qui veut que 2% des jours ouvrés soient contrôlés, à partir du 1er janvier 2008.
Et les infractions dans tout ça ? On en relève 1 185 395 pour toute l'Europe (dans ces chiffres apparaissent le transport routier de marchandise, mais aussi, dans une moindre mesure, le transport routier de voyageur). Peut on se servir de ces résultats pour distinguer les bons élèves des mauvais en terme de respect de la réglementation ? La commission à l'air de penser que non. D'une part, il y a le problème des infractions commises par les non nationaux, qui représentent la majorité des infractions constatées en Belgique, un gros tiers au Royaume-Uni, un sixième en Allemagne, mais quelques pour cent seulement en Italie. D'autre part, la commission à l'air de penser que ces résultats (qu'elle ne donne d'ailleurs pas systématiquement) sont plus représentatifs de la qualité des contrôles que du respect de la réglementation par les transporteurs routiers. Elle parle ainsi de « taux de réussite » ! J'en ai calculé quelques uns. Ce taux vaut 5,1% en Allemagne, 1,8% en France et 1% en Espagne. Il semble que la réglementation soit appliquée plus strictement en Allemagne. L'explication pour l'Allemagne m'est venue tout de suite à l'esprit, « c'est la faute aux transporteurs étrangers », vu que l'Allemagne est très proche des nouveaux entrants. Et bien non ! Si on fait le ratio nombre d'infraction/nombre de contrôle, on s'aperçoit que les transporteurs routiers allemands sont beaucoup plus souvent en faute (8%), que leur homologues étrangers contrôlés en Allemagne (1,6%). Et une idée reçue au tapis, une ! Si il n'y a pas une erreur dans le document de la commission car une telle différence paraît étrange. Y a t-il une subtilité qui m'échappe ? En Espagne, par contre le pourcentage en question varie peu (et pour la France, on ne peut pas faire le calcul, dommage…).
Pour conclure, que va apporter le nouveau règlement[1] ? D'abord l'obligation du chronotachygraphe numérique pour les véhicules neufs, qui devrait être moins facilement détournable, et plus facilement contrôlable (cependant, s'agissant du premier point, un membre de l'UNOSTRA nous a confié qu'il pouvait être trafiqué grâce à un simple aimant !), ensuite l'extraterritorialité des sanctions, une gamme commune de sanction, des coopérations renforcées entre Etat membre…Rendez vous dans quelques années pour juger des résultats. Le contexte économique, plus favorable aux transporteurs ces dernier temps, rendra t-il possible une vraie amélioration du respect de la réglementation ?
[1] Au contraire de la directive, un règlement s'applique dans les états membres sans avoir besoin d'être transcrit dans la législation nationale.