Le cabotage routier ou le conflit entre les anciens et les modernes.

        Une très intéressante étude de la commission européenne revient sur les conséquences de l'élargissement de 2004 sur le transport. C'est d'autant plus pertinent que cette étude multi-mode est publiée au moment où le débat sur le cabotage routier ressurgit. Mais si cette étude apporte plutôt de bonnes nouvelles, c'est à une période où les mauvaises nouvelles s'enchaînent, et où la concurrence des pays de l'est est d'autant plus mal ressentie. Pour paraphraser François Mitterand, les optimistes sont à l'Ouest, les camions à l'Est, penseront surement beaucoup...

        L'étude commandée par la commission européenne revient sur les conséquences de l'élargissement de 2004 sur le transport. Un élargissement qui a induit une hausse du transport (certains trafics ont doublé depuis 2005) entre les NPM (Nouveaux Pays Membres) et les anciens de l'Europe des 15, et a conduit les NPM a transcrire (plutôt avec grande diligence, selon l'étude) dans leur législation une masse toujours plus grande de décisions européennes concernant le transport (« At the end of 1999, the overall Transport Acquis counted 2896 pages; by the end of 2004 this was 7780 pages. »).

        Une hausse du transport qui s'est entièrement faite au profit des camions et de la voiture, ce qui est logique, vu que c'est la tendance de fond dans les pays de l'est, où le réseau routier en général revient de loin, et où le transport ferroviaire (majoritaire il y a 20 ans) était favorisé du temps des régimes communistes (notamment par un système de quota). De plus, le camion a eu naturellement beaucoup plus de facilités à s'adapter aux immenses bouleversement industriels et commerciaux générées par la chute du mur (qu'on se rappelle la rapide disparition des vieilles marques communistes dans Good Bye Lenin !). La répartition modale des pays de l'est tend donc à se rapprocher de celle des pays de l'ouest.

        En fait ils tendent à se rapprocher tout court des pays de l'ouest : comme le notent les auteurs de l'étude, en matière de transport, « There is no longer the need to speak of 'old' and 'new' Member States ». Doit-on s'en lamenter, au nom du développement durable ? D'une part, ce serait assez hypocrite, et d'autre part, il faut voir que la situation est paradoxale dans ces pays : du fait de l'amélioration rapide du réseau et du niveau de vie, beaucoup plus de voitures = moins de pollution (pour le CO2, par contre, il n'y a pas de miracle) et moins d'accidents ! Quoiqu'en fait, sur une longue période, c'est à peu près ce qui s'est passé aussi en Europe de l'ouest depuis 30 ans ! A noter que d'autres effets positifs sont relevés, comme l'amélioration des pavillons maritimes chypriotes et maltais, la hausse du trafic aérien, l'apport de main d'œuvre de l'est dans les secteurs du transport des pays de l'ouest (qui ont tendance à manquer de bras, comme dans le transport routier, voir article précédent, ou le transport maritime).

        Mais bien sur tout n'est pas rose dans ces pays, qui pour connaître un essor économique impressionnant (qui se souvient que l'élargissement avait fait débat en France, au point de peser lourd dans la défaite du TCE en 2005 ?), ont parfois du grandir trop vite. Ainsi l'intégration de la législation européenne s'est faite trop rapidement, sans toujours attendre l'évolution de l'organisation et de la stratégie des états, chargés de la faire appliquer. Et appliquer cette législation n'est pas toujours évident, même à l'ouest (voir article précédent). Aussi le « level playing field » (les mêmes règles de concurrence pour tous) n'est pas toujours une réalité sur le terrain. Mais surtout, le système de transport alternatif à la route est en mauvais point. Souffrant de sous-investissement chronique, il est également handicapé par les péages ferroviaires les plus élevés d'Europe. A ce niveau, l'étude ne propose peut-être pas de solutions miracles, c'est avant tout une affaire de priorités dans les états concernés


        Reste que l'étude prend un relief particulier avec le débat actuel sur l'autorisation du cabotage. Le cabotage, c'est, par exemple, un transporteur allemand qui, non content de faire un Berlin-Marseille, trouve du fret retour pour faire un Marseille-Strasbourg. Aujourd'hui (et depuis 15 ans) c'est autorisé au sein de l'Union Européenne, mais avec une certaine limite : pas plus de 30 jours de cabotage par an. Dans la pratique cette limite est difficile à vérifier, même si l'Autriche a fait une tentative (un peu anachronique?) en ce sens l'année dernière (et il n'est pas si évident qu'elle soit dépassé si souvent, à part peut-être dans les régions périphériques, car trouver du fret à l'étranger et le garder nécessite une certaine structure commerciale).

        La nouvelle proposition de définition du cabotage (pas plus de trois transports dans les 7 jours suivant un transport international) est censée (a priori j'ai comme un doute) être plus contrôlable. Mais dans un contexte extrêmement difficile pour les transporteurs routiers, avec le diesel qui augmente de plus en vite, le compromis trouvé au parlement européen (à valider par le conseil des ministres, il prévoit aussi la fin des restrictions pour 2014) ne passe pas très bien (ainsi pour le syndicat belge UBOT, le cabotage aura un impact négatif sur les salaires). Et pourtant les petits pays du Benelux étaient plutôt favorables à la fin complète des restrictions (logique, c'est le moyen de donner de l'espace de leurs transporteurs nationaux)... Les pays de l'est ne sont pas encore tous concerné par ces autorisations mais ça ne sauraient tarder (les restrictions imposés à la Pologne et la Hongrie devraient prendre fin en 2009).

             Les transporteurs de l'est vont-ils déferler sur les marchés nationaux ? Pas évident, pour des raisons essentiellement commerciales. Depuis l'ouverture à la concurrence, déjà ancienne, si on observe une perte du pavillon français à l'international (de toute façon les grands transporteurs de l'ouest ont déjà depuis longtemps anticipé le mouvement en installant des filières à l'est), ce n'est pas le cas pour les trafics nationaux. Sur des courts ou moyens trajets, on ne peut guère être compétitif sans base locale. Par contre, dans les zones frontières allemandes , les transporteurs pourraient souffrir...

        Sur cette question le rapport commandé par l'UE se veut optimiste : les conséquences de l'élargissement avaient été sur-estimées, le différentiel de salaire entre est et ouest tend à se réduire, et de toute façon les pays de l'est ont épuisé leurs réserves de chauffeurs. Saura t-il convaincre les routiers? Sans doute non : de toute façon le vrai problème est ailleurs, c'est le prix du diesel...



22/05/2008
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