Caravane sur la mer noire
(article basé sur le compte rendu de l'IRU)
« Black Sea Highways ». Pour un étudiant abreuvé de politiquement correct, on imagine tout de suite une autoroute de la mer avec des beaux rouliers qui transportent les camions de port en port. Raté ! Il s'agit ici de construire une autoroute de 7000 kilomètres, parcourue par des vilains camions qui puent, faisant le tour de la mer noire, et desservant les pays voisins.
Cette « caravane de l'autoroute du tour de la mer noire » (Black Sea Ring Highway Caravan ) a justement pour but de promouvoir la future autoroute autour de la mer noire et de dresser un état des lieux de l'infrastructure existante, et des barrières non physiques au transport (temps d'attente aux frontières, procédures de douanes et de visa…), qui justifierait la construction de nouvelles infrastructures et une action des états pour favoriser la libre circulation des marchandises.
En un peu plus d'un mois entre avril et mai 2007, elle a rassemblé 12 chauffeurs, un pour chaque pays organisateurs , qui ont parcouru des milliers de kilomètres, en majorité sur des deux voies, participé aux étapes à des opérations médiatiques, et effectué 12 franchissements de frontières. L'image est belle, elle rappelle le goût de l'aventure et des voyages à l'autre bout de l'Europe, symbolisant le transport routier, et qui sont plus un souvenir qu'autre chose pour les routiers français, vu notamment la perte de compétitivité à l'international du pavillon français.
Cette caravane a été organisé par l'union internationale des tranporteurs routier, l'IRU (Internationnal Road Union), un partenaire local , la BSEC-URTA (Union of Road transport Associations in the Black Sea Economic Cooperation Region), et l'organisation économique des pays riverains de la mer noire, la BSEC (Black Sea Economic Cooperation), rassemblant 12 pays riverains de la mer noire et crée en 1995.
Ce partenariat public-privé a pour but de déveloper un commerce extérieur de 1000 Milliards de dollars dans la région, handicapé par la multitudes des frontières et l'absence d'un marché commun, mais en croissance forte (plus de 20% d'augmentation chaque année depuis 3 ans).
Ce commerce extérieur est plutôt axé sur l'Europe (52 % des voyages à l'étranger des transporteurs de la BSEC, se font vers les états de l'UE non-membres de la BSEC) et assez peu au sein de la région de la mer noire(25% seulement)
A ce titre, les états de la BSEC ont signé au début de l'année un mémorandum pour le développement coordonné de l'autoroute de la mer noire, et devrait établir un secrétariat technique à ce sujet.
En 2002, avait été rédigé un mémorandum sur le transport de marchandise qui devrait aboutir notamment à une élimination des quottas, en 2009 et 2012 selon le type d'accord préexistant.
Il est cependant difficile à une organisation sans pouvoir répressif (au contraire de l'UE, qui fait respecter tant bien que mal ses directives à coup d'amendes), de forcer les Etat signataire d'un mémorandum de le mettre en application…Dans la documentation de l'IRU, on parle encore de « target ».
Cette caravane, en plus de son impact médiatique, a permis de calculer le coût des barrières non-physiques au transport de marchandise, soit les retards et les coûts des procédures administratives. Les organisateurs ont distingué :
-coûts opérationnels (personnels et camions)
-coût plus général pour l'entreprise (marchandise immobilisé, personnel s'occupant des formalités administratives…)
-Coûts des opportunités commerciales manquées
Les coûts des retards dues aux frontières ont ainsi été estimés à 208 millions d'euros (dont moitié de coût direct), en prenant 23,5 € comme coût d'attente pour les chargeurs (c'est apparemment une moyenne européenne, mais ça ne semble pas énorme, si on prend le salaire brut horaire, plus l'amortissement du camion…Par contre prendre une moyenne européenne dans des pays où les salaires sont beaucoup plus bas semble plus limite). Autre hypothèse on a considéré que les coûts indirects étaient le double des coûts directs[1].
A cela, on rajoute les coûts directs liées aux visa (10 millions d'€), et les coûts directs liés aux permis de circulation(11 millions d'€). En tout, on arrive à un chiffre de 229 millions d'euros, pas si impressionnant que ça, si on mesure la difficultés de faire travailler ensemble des états qui ont parfois des contraintes liées à leur appartenance à d'autre organisation (notamment les pays de l'UE), et qui souvent ne s'adorent pas tant que ça. Entre les conflits entre la Russie et l'Ukraine, les problèmes des régions séparatistes pro-russes en Géorgie et en Moldavie, les conflits historiques entre la Turquie et ses voisins arméniens et grecques, les intérêts économiques en jeux ne sont probablement pas assez fort pour arriver à des progrès significatif rapides.
Et l'autoroute dans tout ça ? A t elle vraiment un intérêt régional ? Les camions vont-ils vraiment faire le tour de la mer noire plutôt que d'emprunter des bateaux ? On peut penser que la réalisation des tronçons dépendra surtout de flux nationaux ou frontalier et peu du trafic de transit.
En tout cas, si la caravane n'apporte pas de réponse aux questions précédentes, l'IRU a apparemment réalisé une excellente opération de communication dans les pays concernées, comme en témoigne une abondante revue de presse écrite et télévisuelle, et a pu faire un peu de lobbying pro-routier : « any penalty imposed on road transport is an even bigger penalty on trade and the economy as a whole" selon Martin Marmy. Et il y a du vrai, même si ça sonne bizarre dans le contexte actuel…
[1] D'après Economic Cost of Barrier to Road Transport, Hague consulting Group, 1998