Qui va manger le petit suisse ?
Chez nos voisins suisses, le ferroviaire ça marche ! Avec un fort investissement des pouvoirs publics, les suisses sont parvenus à « mettre les camions sur des trains », au moins pour le trafic de transit. Mais ce succès attire les convoitises en ce qui concerne la filiale fret de la compagnie nationale suisse, CFF Cargo. Le départ récent du PDG de CFF annonce t-il la reprise de la compagnie?
A lire les différents communiqués de CFF Cargo (eux au moins veulent et savent communiquer, ce qui n'est pas le cas de toutes les compagnies française), on a l'impression à première vue que les difficultés du fret glissent sur la compagnie suisse. Opérant sur un territoire petit, où le fret ferroviaire n'est pas censé être rentable, elle s'empare de marchés variés et ne se contente certainement pas de viser les trains entiers réguliers, comme le fait la SNCF, pour une bonne partie du territoire français. Avec 383 points de chargement du wagon isolé (en 2006), elle conserve un réseau très dense qui réalise avec le transport combiné un gros quart des tonnes-kilomètre transportées internes à la Suisse. Elle est capable de prendre un contrat ponctuel de produit frais (les merveilles de carnaval, consommées seulement dans cette période), ce qui traduit une grande confiance dans sa capacité d'adaptation et de respect des délais. Elle prend en charge le transport des déchets à Lausanne, jusqu'à l'incinérateur, en sous-terrain, ou encore le transport de betterave, ce qui nécessite une organisation logistique avancée, vu le grand nombre de producteurs. Elle développe des gares d'autoroutes (honnêtement, par contre, là, je trouve le communiqué très peu clair, donc je n'ai pas trop compris de quoi il s'agissait). CFF n'a pas oublié de se développer à l'international, avec des filiales en Allemagne et en Italie, et pousse ses pions jusqu'à Rotterdam, de loin le plus important port européen.
Globalement, comme le dit un communiqué de juillet dernier, « CFF Cargo a ainsi réussi un tour de force en développant de nouveaux trafics en dépit d'une concurrence intense ». Au premier semestre 2007, CFF Cargo a ainsi transporté près de 7 milliard de tonne-km (à comparer avec les 20 milliard de tonne-km/semestre de Fret SNCF), en hausse de 13%. Il faut néanmoins préciser que le trafic en Suisse reste stable, et que les gains sont occasionnés par l'essor des filiales allemandes (+43%) et italiennes (+64%). Et ces bons résultats sont aussi le reflet d'une qualité de service impressionnante : pour les trafics intérieurs (chiffre 2006), 96 % des trains arrivent avec un retard de moins de 30 min (en France, il me semble bien qu'on considère qu'un train de fret est en retard au bout de 24h) ! En trafic international, c'est un peu moins bon (80%, pour les clients ayant signé une charte) en valeur absolue, mais le trafic international est soumis à des contraintes plus grandes et des acteurs plus nombreux (je suppose que la douane intervient?).
On ne construit pas des histoires intéressantes sans difficultés. Justement, en ce moment les nuages s'amoncellent sur la petite compagnie qui monte, dans un contexte de regroupement des principaux acteurs ferroviaires européens (voir article précédent). Le président de la compagnie CFF, Thierry Lalive d'Epinay, en poste depuis 1999, a annoncé son départ pour fin 2008. Des rumeurs font état de velléités de rachat de la partie fret par la Deutsche Bahn ou la SNCF. Car financièrement, la branche fret est toujours dans le rouge (voir le rapport de gestion, très fourni), avec un déficit qui a baissé (30 millions d'€ en 2006, contre 166 millions en 2005), mais qui devrait rester à deux chiffres en 2007. Quoiqu'il en soit, l'activité fret de CFF devra certainement être rationalisée, ce qui n'enlève rien au succès de cette compagnie. Ce qui m'étonne par contre, c'est le silence de la presse suisse (au moins sur Internet). Rien sur Le Temps ou Le Matin, pas grand chose sur La Tribune de Genève. On est loin de la mobilisation générale que susciterait des projets de vente de fret SNCF...