La douane, un enjeu du XXI ème siècle

      On pourrait penser que dans notre monde globalisé et sans frontière, le douanier est une espèce en voie d'extinction. Or ce n'est nullement le cas, pour les personnes, mais surtout pour les marchandises. Le 11 septembre a radicalement changé la donne. Si en Europe, les contrôles aux frontières sont sans cesse repoussés, avec l'extension de l'aire d'application des accords de l'Union Européenne, avec le reste du monde, il faut montrer patte blanche. Or deux tendances  agitent actuellement le monde de la douane pour le fret.

 

      La première, c'est la tendance à privilégier la déclaration électronique. Elle a été mise en œuvre dans la plupart des pays européen, sous l'initiative de l'Union européenne. En France, cela s'appelle DELTA. C'est censé produire moins de papier, être plus rapide, plus fiable… Censé, car en pratique, cela s'est révélé un gros fiasco au démarrage, en juin 2007. Au bout de quelques jours, la plate forme informatique s'est effondrée sous le nombre de connexion. Le service a été suspendu et on a du retourner au papier… Aujourd'hui, le service marche, mais la déclaration électronique n'est pas obligatoire, comme il l'était prévu. Pire, selon le Stratégie Logistique de ce mois, le service se révèle plus cher, 2€ par déclaration électronique de coût total. Ça fait beaucoup pour un service qui était censé être disponible en janvier 2006. Qu'on se rassure, la France n'est pas seule dans ce cas, l'instauration du système Badr 2 au Maroc a elle aussi été difficile (voir ici)

On peut suivre à ce sujet dans l'Oeil du Chargeur, la revue de l'AUTF (l'association des utilisateurs de fret, les chargeurs, ceux qui achètent au final la prestation de transport), la longue liste de désillusion qu'a constituée la mise en place de DELTA (même si on peut penser que le pire est passé) et les relations irrités qu'entretiennent agents économiques et douaniers. Globalement, les chargeurs reprochent aux douaniers une culture de la sanction trop forte, et de ne pas être assez sensibilisé à aux répercussions commerciales de leurs actions, contrairement à ce qui peut se passer ailleurs. « Chez nos proches voisins également, l'entreprise n'est pas considérée de prime abord comme une fraudeuse potentielle, cible d'actions répressives, mais plutôt comme une entité incontournable pour le développement de l'emploi ».

 

Pour la seconde, on retrouve l'AUTF, dans les deux derniers « Œil du Chargeur » (numéro 8 et 9), qui s'indigne de la nouvelle politique de sûreté[1] des Etats-Unis. Après le 11 septembre, les USA ont cherché à prévenir les actes de terrorisme. Or, dans un conteneur, on peut mettre n'importe quoi (par exemple, on n'est jamais trop prudent, une « bombe sale », des capsules d'antrax…), sans que cela soit vérifiée au départ (cela prendrait trop de temps et de moyen). Comme Jack Bauer ne travaille que 24h par an, les États-Unis ont décidé de scanner tous les conteneurs arrivant chez eux (à partir de 2012), aux frais de l'import/export selon l'AUTF, et ont sélectionné une vingtaine de ports dans le monde, seuls habilités à leur envoyer des conteneurs, ports où la douane américaine a obtenu d'avoir ses propres agents !

Cette seconde tendance est liée à la première. Avec la déclaration électronique, on peut facilement obtenir les informations plusieurs jours avant l'arrivée effective des marchandises, et utiliser des logiciels spéciaux de calculs de risque pour choisir quel expéditeur est le moins fiable, et devra donc subir un contrôle approfondi. C'est sans doute l'objectif initial de la règle des « 10+2 », qui consiste à demander à l'importateur américain (10 informations) et au transporteur (2) des données sur les marchandises importées, en plus des informations demandés à l'expéditeur étranger (probablement pour croiser les deux). Mais cela risque de retarder encore les échanges avec les USA (deux jours selon l'AEEI, citée par l'AUTF), et de pénaliser les exportations européennes avec ce pays. L'AEEI (American association of Exporters and Importers) exprime d'ailleurs ses craintes et ses réserves (notamment sur la confidentialité des données). Pour eux, il y a plus intelligent à faire que des procédures systématiques aussi lourdes. Et c'est vrai qu'on peut penser que les éventuels terroristes (transporter une bombe dans un conteneur, c'est encore du cinéma, et heureusement) arriveront toujours à contourner une procédure systématique et standardisée.

Pour l'AUTF, c'est clair, toutes ces décisions ne sont que des mesures protectionnistes déguisées, rendues possibles par le pouvoir de négociation inégalé des USA.  « Les chargeurs français, semblables au vieux Caton, continueront de marteler que le renforcement unilatéral des réglementations sécuritaires américaines, au-delà des postures politiques destinées aux électeurs, sont en fait ni plus ni moins que des barrières non tarifaires destinées à pénaliser les importations de nos productions et favoriser les productions domestiques ». L'AUTF épingle aussi avec une ironie mordante l'Union Européenne, « La Commission après avoir mollement réagi semble organiser sa riposte avec un questionnaire bien senti dont elle a le secret ».

 

Bref, c'est la guerre de la douane, même s'il faut relativiser le lobbying de l'AUTF (l'ESC, l'organisation européenne des chargeurs, semble un peu plus modérée, au moins sur la forme). Et l'Union Européenne semble mal partie pour se défendre (l'AUTF indique que certains États européens, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, négocient des accord bilatéraux, ce qui ne peut que fragiliser la position de négociation de l'UE). Dans ce contexte, l'UE va avoir du mal à imposer hors de ses frontières son concept d'OEA (Opérateur Economique Agrée), des opérateurs de confiance bénéficiant de procédures simplifiées (d'ailleurs, selon l'Aslog, les entreprises françaises sont très en retard sur ce point). Il faudrait déjà que la question douanière fasse partie du débat public, ce qui n'est pas le cas pour l'instant.

 



[1] Ne pas confondre sûreté (security en anglais), destiné à contrer les menaces volontaires (le terrorisme dans le cas qui nous concerne), et la sécurité (safety en anglais), destiné à prévenir les accidents.



06/03/2008
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