Inquiétudes sur la prise de poids des porte-conteneurs

            La dernière note de synthèse de l'ISEMAR (novembre 2007) est l'occasion de s'interroger sur l'avenir du porte-conteneurs, de plus en plus gros. On annonce maintenant des navires de 16000 EVP (l'«équivalent vingt pied » est une unité de mesure usuelle représentant l'équivalent d'un conteneur basique)! En effet, sur le marché actuel du transport, les navires sont de d'autant plus rentables qu'ils permettent de transporter d'EVP. Avec le même équipage, on peut en effet transporter plus de marchandise, et les frais de port et de franchissement des canaux augmentent moins vite que la capacité en EVP du navire. D'où, selon le mémoire de Ludovic Gérard (ATMA 2007), un gain net de 30 % sur le coût de transport d'un conteneur entre un 6500 EVP et un 115000 EVP. On peut comprendre que les armateurs se précipitent sur ces grands bateaux…

        Seulement, cette course au gigantisme génère quelques inquiétudes : Paul Tournet, dans cette dernière note de l'ISEMAR, insiste sur les problèmes de sécurité générés par les porte-conteneurs. Le principal avantage des conteneurs, sa facilité et rapidité de chargement/déchargement, est à double tranchant : ne manipulant pas directement la marchandise, le capitaine doit se fier aux indications et au travail du chargeur. Il en découle que 15% des conteneurs sont mal équilibré à l'intérieur, et que 18% présentent une surcharge de plus de 6 tonnes. De plus de la marchandise dangereuse peut se cacher dans des conteneurs non signalés… De tout ceci découle des pertes de conteneurs assez fréquentes (« entre 5 à 15000 par an »), notamment par gros temps. Ces conteneurs perdus peuvent contenir des marchandises dangereuses (celles ci sont censés être stockés dans des conteneurs accessibles en haut du navire, qui auront tendance à être emporté en premier), flotter et constituer ainsi des obstacles à la navigation…

        Certes, mais alors quel est le rapport avec la taille des navires? En fait, les portes conteneurs actuels ont tendance à grandir plutôt en hauteur et en largeur, le tirant d'eau ne pouvant pas être augmenté beaucoup (sinon rapidement des problèmes se posent, dans les ports, le canal de panama, voir le franchissement de la manche !). Ces navires auront donc une plus grande surface latérale de prise au vent, ce qui augmente les risques lors des tempêtes, et pourrait même constituer une menace sur l'intégrité des navires, les forces de flexion et de torsion étant considérable. Les nouveaux navires de 11000 EVP n'étant que des 6500 EVP adaptés, gardant la même architecture navale (voir à ce sujet un mémoire de l'ATMA par Ludovic Gérard "De 6500 à 11500   EVP sur un même concept, jusqu'où sera t'il possible d'aller?"), Paul Tourel s'inquiète sur la sécurité des navires eux même. Sur ce dernier point, il semble cependant difficile de croire que la sécurité de navires tout récents, si cher et à la durée de vie si longue (un porte-conteneurs s'amortit sur 30 ans) ait pu être négligé par les armateurs…

        Bref si les porte-conteneurs posent des problèmes de sécurité spécifiques, la note de synthèse de l'ISEMAR ne démontre pas vraiment de façon convaincante que la course au gigantisme (qui a probablement comme effet secondaire de rajeunir la flotte des navires longues distances) aggrave globalement la situation. Simplement les accidents seront individuellement plus graves, en raison principalement de la valeur du navire et de sa cargaison (plusieurs centaines de millions de dollars), et du fioul lourd transporté (environs 15000 tonnes  au départ pour les 11500 pieds, l'équivalent d'un petit pétrolier !)

 

        Mais un autre inconvénient est imputé  aux gros porte-conteneurs : le temps d'escale dans les ports. Un chercheur allemand, Axel Schönknecht, a calculé que ces portes conteneurs restent beaucoup plus longtemps à quai (voir le Journal de la Marine Marchande du 27/04/07[1]). En effet, plus le bateau est large et haut, plus la grue du portique de déchargement aura de distance à parcourir et mettra de temps en moyenne à sortir une caisse du navire et à la mettre sur le quai. Or le nombre de portique est limité sur le quai (en raison de contraintes de poids et de résistance des matériaux, ils doivent être espacés de 80 m). Aussi le linéaire de quai est occupé nettement plus longtemps. Ce qui pénalise le taux de rotation du navire. Ainsi, le chercheur conclut, dans un pied de nez manifeste à la tendance actuelle, qu'il ne sert en général à rien de dépasser la taille de 9000 EVP (même s'il prévient que la notion de rentabilité d'un navire ne saurait se résumer à sa taille)! Même si, en l'absence des calculs précis du chercheur, on peut douter de l'argumentation (l'auteur indique que le temps supplémentaire passé en quai annule le gain de productivité des navires, or le pourcentage de temps passé dans les ports sur une rotation usuelle de 60 jour est faible, alors que les gains de productivité sont très forts), il n'en reste pas moins que cela pose une question intéressante : les opérations de déchargement sont ils facturés à la caisse ou au temps ? Comme il semble bien que la réponse soit "à la caisse" (je n'ai pas étudié précisément la question, la tarification des ports étant complexe), on peut raisonnablement penser que ces gros porte-conteneurs ne payent pas tous leurs coûts…Déjà ces nouveaux navires ont demandé la construction de nouvelles infrastructures, souvent en pleine mer… Ainsi les quais de Port 2000 au Havre sont ouverts sur la mer, ce qui évite ainsi aux navires d'emprunter l'écluse François Premier, limité en longueur et en largeur.

Reste que les enjeux économiques d'un port sont tels pour son hinterland, qu'il paraît difficile d'imaginer les ports révolutionner leur tarification de sitôt pour internaliser les surcoûts des gros porte-conteneurs…

Plus vraisemblablement, si dans un contexte d'explosion de la demande de transport maritime longue distance, ces gros porte-conteneurs devraient être rentabilisé sans trop de problème, un retournement de tendance pourrait leur être fatal (ils pourraient ainsi rejoindre les pétroliers géants de 550000 tpl des années 70 à la casse !), surtout si les armateurs n'ont pas tous pris en compte dans leurs calculs économiques. On ne peut que penser qu'à augmenter si vite la taille des navires (le record était de 8500EVP en 2003 !), sans attendre de retours d'expérience significatifs, les acteurs du secteur ont fait un pari risqué.




[1] Merci Julien !


 



09/11/2007
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