Le groupe minier Vale lance son Plan Z

J'en avais parlé à la fin de l'année dernière, mais depuis les taux de fret du vrac n'ont pas de cessé de faire du yoyo, en restant globalement très élevés. Une situation difficile pour de nombreux chargeurs. Chargeurs qui sont souvent très gros, en particulier dans le secteur minier. On ne doit donc pas s'étonner que l'Empire cherche à contre-attaquer. Ici, en l'occurrence, Dark Vador vient du pays de la capoeira…

Effectivement, ces derniers temps, les compagnies minières ont eu tendance à se regrouper, pour ne former que quelques rares énormes groupes  mondiaux, ce qui  tend à provoquer  des craintes (plutôt justifiées,  à mon humble  avis de non connaisseur du dossier) quant au maintien effectif de la concurrence. En ce moment Rio Tinto est en train de se faire racheter par BHP Billiton, même si le dossier attend encore le feu vert des différentes autorités de la concurrence, notamment celle de la commission européenne. Deux groupes seulement contrôleraient plus de 70% du marché mondial... Lire à ce sujet un bon point de vue du blog çaderange.

Mais pourquoi devenir plus grand ? Pour négocier en meilleure position face aux acheteurs, bien sur, mais également pour gérer au mieux  les activités auxiliaires de l'extraction, notamment la production d'électricité et le transport, où les économies d'échelles sont souvent très importantes. C'est bien entendu le second point, le transport, qui sera traité ici. Je suis parti d'un bon article (peut-être un peu trop énumératif) du figaro.

 

L'exemple du brésilien Vale, la première compagnie au monde (avant la fusion éventuelle citée ci-dessus), est assez édifiant : la compagnie représente près de 30% de l'ensemble du marché de la logistique au Brésil ! Avec  ses 3 compagnies ferroviaires, la compagnie transporte 29 milliards de tonnes-kilomètre (contre environ 40 milliard pour fret sncf), et gère presque 10000 km de réseau. Elle va bientôt lancer des trains de géants de 330 wagon, et donc de plusieurs kilomètres !  A noter que, petite concession pour l'environnement (enfin en principe, vu qu'aujourd'hui les biocarburants sont très contestés, voir article précédent),  les trains roulent avec un mélange composé de biodiesel  à 20%. La compagnie ne transporte pas que ces marchandises et transporte même plus de produits agricoles que de produits miniers.

Au niveau maritime, Vale exploite des terminaux portuaires, et est en train de se reconstituer une flotte. Manque de chance,  ou de clairvoyance stratégique, la compagnie avait vendu ses vraquiers entre  2003 et 2001, avant l'explosion des taux de fret (les prix du transport) du vrac sec (les céréales, le charbon, les minerais... tout ce qui est solide et non emballé). Elle met aujourd'hui le paquet pour rattraper le temps perdu avec cette fois 18 très grands navires (de 300 000 à 400 000 tpl chacun, on se rapproche des valeurs records pour les bateaux, voir article précédent), commandées en 2007 et tout récemment en 2008, et qui seront livrés en 2011 et 2012. Cela lui permettra d'assurer un service régulier vers la chine, et d'assurer elle-même (enfin l'exploitation devrait être externalisée) 31% de son transport entre le Brésil et l'Asie.

Mais cette décision n'intervient elle pas encore[i] une fois à contre temps ? Alors qu'un très grand nombre de navire vraquier sortira des chantiers navals dans les 5 prochaines années, beaucoup d'experts prédisent l'éclatement de la « bulle » des taux de fret du vrac, sur fond de croissance mondiale incertaine et de hausse du prix des matières premières. A cela Vale répond, d'après Reuter, par la bouche de son directeur logistique Eduardo Bartolomeo: "Looking at the expansion projects we have and (what) other players are doing, we don't see the level (of ore demand) will be down for the next 2-3 years,". Oui, mais les nouveaux navires n'arriveront qu'après deux-trois ans (et de toute façon le problème éventuel concernerait plutôt ici l'offre)…

En fait une autre explication semble transpirer de l'excellent communiqué de la Reuter. On sent que le géant brésilien a mal pris la décision des australiens de vendre leur minerai plus cher que lui, en arguant de leur distance plus faible par rapport au principal client, l'Asie et surtout la Chine : « Asian steel mills' negotiations with ore miners on annual term iron ore prices in 2008 stalled over the proposed inclusion of a freight premium sought by the Australian miners to reflect the higher shipping costs to China for Brazilian ore.[…]The Australian companies received higher price increases than Vale in annual iron ore supply contracts with Asian steel mills for 2008. "We're trying to correct it -- not the premium, but the freight rates," Bartolomeo said. » Il s'agit en effet pour la compagnie, toujours par la voix de son directeur logistique, de rien de moins que de chercher à influencer le prix du transport de fret : « "I'm not happy with the freight levels. I don't think they represent the actual cost of transportation".

 A partir de là on peut penser que plus la compagnie joue à contre temps en sortant de nouvelles grosses capacités dans un marché qui va fatalement se contracter, vu les navires en commandes, plus elle va jouer les taux de fret à la baisse, ce qui va in fine lui bénéficier. Surtout, elle envoi un signal extrêmement puissant aux armateurs, qui sauront qu'ils ne sont pas incontournables. Ce signal pourrait accélérer la chute éventuelle des marché du vrac sec (le bien connu baltic dry index, en baisse ces deux derniers mois après avoir atteint un nouveau pic fin mai). Financièrement, pas sur que le calcul soit très bon (si les taux baissent, la valeur des nouveaux vraquier de Vale baisse aussi), mais, d'une part acheter est un navire est un investissement à long terme, d'autre part une compagnie qui a prévu d'investir 59 milliards de dollars dans le monde (ça donne le tournis) entre 2008 et 2012 peut bien, au fond, se permettre de perdre un peu d'argent sur 1.6 milliards…

 

 



[i] Parce qu'on peut subodorer qu'en vendant 14 navires pour 134,7 millions de dollars au début des années 2000, et en en rachetant 18 (certes neufs et plus gros) pour 1.6 milliards de dollars en 2008, Vale n'a pas forcément fait une très bonne affaire.



05/08/2008
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