Un tournant stratégique pour la SNCF?
Alors que l'Europe du fret ferroviaire rail bouge à toute vitesse depuis quelques années, alors que la Deutsche Bahn est sur tout les fronts (voir article précédent), Fret SNCF faisait figure de belle (tout le monde ne serait sans doute pas d'accord avec moi) endormie, au point de vue stratégique. Le prince charmant s'appellerait-il Pierre Blayau ?
La machine de guerre de SNCF Participation semble lancée. Le groupe de transport serait en train de procéder à des rachats massifs du titre Geodis (numéro 1 du transport routier en France, voir article précédent) sur le marché, prélude à une OPA (faire monter le titre, avant de lancer une OPA, je ne sais pas si c'est une bonne tactique pour payer sa cible moins cher, mais je ne suis pas financier). Je cite La Tribune :
«Les observateurs prêtent à sa maison mère, la SNCF, qui détient 43% des titres de Geodis, l'intention de prendre la totalité du capital. Objectif: former un champion national dans les activités de logistique et de fret. Un peu sur le modèle de la Deutsche Bahn en Allemagne. Un rapprochement qui permettrait à la SNCF de régler en partie les difficultés rencontrées depuis de nombreuses années par sa division fret. »
Les Echos ont à peu près le même argumentaire.
Or je suis sceptique sur ces points. Racheter le capital de Geodis est peut-être une bonne opération financière, mais l'intérêt stratégique me reste obscur. D'abord, la SNCF contrôle déjà en pratique Geodis, donc « le champion national de la logistique » est déjà là. Le problème c'est que pour l'instant, ça ne s'est pas trop vu sur le terrain. A ma connaissance (je serai heureux si quelqu'un pouvait me contredire), la SNCF et Geodis ne collaborent pas en pratique. Alors qu'on pourrait imaginer que Geodis « rabatte » des trafics sur le ferroviaire. Le pire c'est que Geodis collabore avec une entreprise ferroviaire… en Autriche ! (voir cet article en italien, de traspoto europa, via Patrice Salini). Geodis effectue ainsi depuis début mars des transports pour Rail Cargo Austria en Europe (Italie, Angleterre, Espagne, France, Autriche…).
Car l'Europe (ferroviaire), c'est bien ce qui manque à cette stratégie de champion « national ». Or, ce me semble essentiel dans le marché européen, c'est de capter les flux ferroviaire européens longue distance (en ne passant plus par des coopérations entre compagnies-« on s'échange les wagons à la frontière »- qui nuisent énormément à la qualité du service final). C'est difficile, ça nécessite de très gros moyens, mais c'est un marché que doivent capter les grands opérateurs historiques (qui disposent, quoiqu'on en dise, du meilleur réseau et de la meilleure expertise technique), car très peu de concurrents privés (voir article précédent) seront capables de le faire, car ce marché va sans doute augmenter avec la hausse des prix du transport routier, et la montée en puissance des pays de l'est, et surtout car le bénéfice potentiel est important. C'est tout le sens de la stratégie de la Deutsche Bahn, qui achète des compagnies ferroviaires partout en Europe, de façon à se constituer un réseau européen. La SNCF semble également vouloir se lancer sur ce marché européen, avec notamment la stratégie open acces (qui vise à pouvoir assurer le transport des trains en Europe de bout en bout), en demandant une licence en Allemagne, ou en poussant ses lignes vers les ports belges, mais cela semble bien timide en comparaison.
Et pourtant la SNCF a de l'argent…Ne faudrait-il pas en profiter, avant que RFF n'augmente les péages? Se rapprocher de CFF Cargo par exemple, présent en Suisse, à Rotterdam, en Italie et en Allemagne (voir article précédent), ça, ça aurait un sens industriel, par exemple (je dis n'importe quoi)… Là, la SNCF renforce sa position sur ce qu'elle possède déjà, et risque de provoquer un clash social (fusionner Fret SNCF et Géodis ? J'ai mal compris ?) pour pas grand chose (à moins qu'on change aussi la stratégie industrielle des deux groupes). « Un rapprochement qui permettrait à la SNCF de régler en partie les difficultés rencontrées depuis de nombreuses années par sa division fret. » A mon humble avis, ce n'est pas aussi simple. Pour l'avenir de Fret SNCF (et celui de Géodis, dont la stratégie ne semble pas non plus limpide, mais c'est un autre sujet), il ne faudra pas en rester là.